Quels liens entre la diaspora tunisienne et son pays d’origine?

Les Tunisiens résidents à l’étranger restent très attachés à leur pays d’origine, où ils continuent à transférer des fonds en espérant y revenir (et/ou investir) dans un avenir proche.

Par Maya L.

 

La dernière enquête réalisée par l’Organisation internationale pour les migrations (Oim - bureau de Tunis), en partenariat avec le ministère des Affaires sociales, et avec l’étroite collaboration du ministère des Affaires étrangères, a permis de collecter des données auprès d’un échantillon de plus 1.680 Tunisiens résidant en France, Italie et Allemagne afin d’identifier la nature des relations qu’entretient la diaspora tunisienne avec son pays d’origine.

Un lien très significatif

Dans un souci de renforcer davantage ses capacités en matière de resserrement de liens avec la communauté migrante tunisienne, le gouvernement a cherché à travers cette étude de déceler quels types de mesures doit-il envisager afin de faciliter et encourager l’implication du potentiel humain, financier et social des migrants tunisiens dans les efforts de développement économique et social de la Tunisie.

Ainsi, l’enquête révèle que le degré d’attachement des Tunisiens résidents à l’étranger à leur pays d’origine, et plus particulièrement à leur région d’origine, est très significatif. En effet, 65% des personnes ont exprimé leur souhait ou leur intention de retourner, dont 72% veulent retourner à leur région d’origine et 50% pensent que leur retour aura lieu avant la retraite.

Les femmes moins intéressées par le retour

Il est à signaler, à ce propos, par ailleurs, que les femmes ne semblent pas être aussi intéressées que les hommes par la perspective de retour au pays d’origine. En effet, leur proportion exprimant l’intention de retour est de 51%, contre 69% chez les hommes.

Des manifestants soutenant la révolution en cours en Tunisie, à Paris, le 15 janvier 2011.

Des manifestants soutenant la révolution en cours en Tunisie, à Paris, le 15 janvier 2011.

Par ailleurs, la double nationalité n’influence pas beaucoup l’intention de retour (62%), relativement aux Tunisiens résidants à l’étranger (Tre) ayant seulement la nationalité tunisienne (77%). Par contre, la différence entre les Tre de deuxième et troisième génération et les autres migrants est très claire. Seulement, 29% des Tre de deuxième et troisième génération ont exprimé leur intention réelle de retourner en Tunisie.

De bonnes raisons pour retourner au pays

Les raisons de retour avancées par les Tre relèvent plutôt de la réussite de leur expérience migratoire. En effet, très peu de Tre ont déclaré une intention de retour motivée par des problèmes d’intégration dans le pays hôte (6,2%) ou par des difficultés économiques (7,3%).

Cependant, il convient aussi de rappeler que les personnes enquêtées sont majoritairement des actifs occupés, ayant pu s’intégrer dans la sphère économique du pays d’accueil.

Par conséquent, il semble évident, d’après cette étude, que les Tre sont ou bien restent très attachés à leur culture et à leur famille. En effet, 57% d’entre eux ont déclaré que leur retour est motivé par des raisons familiales et 55% par des raisons culturelles. Par ailleurs, les résultats montent aussi que la migration représente pour certains migrants une phase temporaire, et une décision de retour peut avoir lieu, si et seulement si, ils peuvent s’assurer d’avoir des économies suffisantes qui leur permettrait d’avoir une vie digne (28,2%).

Envoi de fonds et autres transferts au pays

Les expatriés tunisiens préfèrent passer leurs vacances au pays.

Les expatriés tunisiens préfèrent passer leurs vacances au pays.

L’enquête a révélé que 57% des Tre envoient, actuellement et de manière régulière, des fonds ou des transferts d’argent en Tunisie. Ces transferts ont pour origine les différentes circonscriptions consulaires concernées par l’enquête avec les taux les plus élevés en Italie.

En effet, 69,7% des Tunisiens enquêtés à Milan transfèrent des fonds vers la Tunisie, suivis de ceux résidant à Palerme (64.5%).

L’étude confirme bien l’hypothèse de base selon laquelle, ce sont les Tre âgés de 25 à 49 ans qui représentent les pourvoyeurs de fonds les plus importants, avec un constat inattendu selon lequel ce sont les exploitants et les ouvriers agricoles qui envient le plus d’argent, soit 74,1%, suivis des ouvriers de type artisan, avec 71%, viennent ensuite les gérants et les cadres supérieurs avec respectivement des taux d’envoi de 65,6% et 40%.

La solidarité des Tre avec leurs familles restées dans le pays d’origine est principalement de nature monétaire (envoi d’argent pour 95,1%), achat de vêtements pour 33,1% ou encore sous forme d’aide en soins médicaux pour 17,8%. L’achat d’un bien immobilier (7%) ou encore de véhicule pour la famille (4,5%) représentent d’autres formes de solidarité de migrants avec leurs familles restées dans le pays d’origine.

Concernant, les transferts d’argent pour aider la famille, 45,4% avaient déclaré envoyer de l’argent régulièrement, c’est-à-dire avec une fréquence mensuelle (66,4%), trimestrielle (26,8%) ou autre (6,8%).

Concernant l’affectation des transferts pour les familles bénéficiaires, et ce selon les déclarations des Tre pourvoyeurs de ces aides, les dépenses courantes semblent prédominer avec 87,8% des réponses. Les célébrations religieuses représentent 35,2% et les dépenses de santé (34.6%) viennent ensuite. Si la construction, amélioration ou achat de logement représente 22,6% des réponses des Tre, l’affectation des transferts à la création d’activité via certains types d’investissements reste assez marginale avec un taux de 2,1%.

En guise de conclusion, cette enquête a permis de connaître le profil des Tre-échantillon et de déterminer leurs liens avec la Tunisie. Ainsi, le travail figure comme la principale cause de l’émigration des tunisiens (63,6%) dans les trois pays concernés par l’enquête à savoir la France, l’Italie et l’Allemagne.

Investir à nouveau en Tunisie

Malgré le faible taux d’investissement des Tre dans le pays d’origine, 45% des personnes enquêtées déclarent une intention d’investir ou d’investir à nouveau en Tunisie, avec 60% souhaitant le faire dans la région d’origine. Cependant, cette intention d’investissement est à prendre avec précaution, étant donné le contexte de collecte de données, juste après la révolution du 14 janvier 2011, et ce, considérant le facteur émotionnel susceptible de biaiser ces intentions. Ainsi, ces déclarations ne suffisent pas à relancer l’investissement de la diaspora sachant qu’elles doivent être accompagnées de sérieux efforts pour rétablir la confiance et combler le manque d’information et de communication. Une tâche encore non prise au compte voire occultée par le gouvernement provisoire actuel.

Ainsi, il convient de souligner que les pouvoirs publics doivent rétablir la confiance et de réinventer les liens avec cette composante cruciale de la population tunisienne afin de les impliquer davantage dans la dé-marginalisation de certaines régions. Cela sera donc une faute historique si le gouvernement Jebali n’accorde pas davantage de priorité à la diaspora, car au-delà de la manne financière, elle foisonne de ressources et de potentialités que la Tunisie a plus que jamais intérêt à attirer.