La journaliste américaine décrit, dans un article sur le site du ‘‘Washington Post’’, une cérémonie de conversion à l’islam d’étrangers s’apprêtant à épouser des Tunisiennes. Le maître de cérémonie : le mufti Othman Battikh.
Par Karin Brulliard
Dès 9 heures, les étrangers ont commencé à se rassembler dans une salle d'attente à l'intérieur de l’immense bâtiment de l’époque coloniale abritant le ministère (des Affaires religieuses, Ndlr). Ils portaient des documents d’apparence officielle. La plupart étaient accompagnés par un Tunisien.
Une heure et demie plus tard, le groupe a fait entrer dans une salle sinistre avec des murs carrelés et des tapis à motifs rouges de la taille de piscines. Derrière un grand bureau, un homme assis dans une attitude si peu imposante, malgré son la solennité de son titre officiel, que l’on pouvait presque le manquer: le Grand Mufti de Tunisie.
«L’islam est une religion de paix et d’amour»
Le travail de Cheikh Othman Battikh consiste à régler les grandes questions religieuses et à annoncer le début de l’Aïd et autres fêtes musulmanes dans ce pays d’Afrique du Nord, dont la révolution, survenue il y a 17 mois, a déclenché le printemps arabe.
Ce matin-là, cependant, il devait officialiser la conversion à l’islam d’une demi-douzaine d’étrangers – la plupart pour qu’ils puissent épouser les partenaires tunisiens qui les accompagnaient. Les hommes étaient habillés de façon décontractée, les femmes non voilées.
Battikh, vêtu d’une robe (jebba, Ndlr) traditionnelle de couleur crème et d’un bonnet rouge et blanc éclairé par le soleil du matin qui pénétrait à travers de grandes fenêtres, salua son auditoire en arabe avec une voix douce. Un homme à sa gauche a traduit ses paroles en français et un autre en italien. «L’islam est une religion de paix et d’amour, a-t-il expliqué. Elle respecte toutes les croyances, encourage le dialogue et n’impose jamais sa doctrine.»
Il a terminé son discours par une question: Les convertis ont-ils des questions?
«On n’a rien à craindre des extrémistes»
«Qu’en est-il des extrémistes?», interroge en français un Danois, originaire du Bénin. «Que doit-on faire à ce sujet?»
C’est une question raisonnable. Dix jours avant, au milieu d’une vague d’indignation dans les pays à majorité musulmane au sujet d’une vidéo américaine tournant en dérision l’islam américain, les manifestants avaient violé l’espace de l’ambassade américaine à la lisière de Tunis, brûlant des dizaines de véhicules et remplaçant le drapeau à bandes et étoiles par la bannière noire de l’islam. La foule a ensuite traversé l’autoroute pour rejoindre l’école américaine de la ville, où ils ont incendié des bâtiments et des autobus, saccagé des salles de classe et volé environ 300 ordinateurs et des dizaines d’instruments de musique.
Les forces de sécurité tunisiennes ont été lentes à réagir et ont fait peu de choses à leur arrivée, m’avait raconté Allan Bredy, directeur de l’école. Un groupe d’environ 20 membres du personnel scolaire, éventuellement armés de battes de baseball, auraient pu libérer par eux-mêmes l’école des quelque 50 pillards, avait ajouté M. Bredy.
Battikh secoua la tête. «On n’a rien à craindre des extrémistes», répondit-il. Et d’ajouter: «Ils représentent un petite et insignifiante minorité perdue».
«Seuls les fous vont voter pour les salafistes», a-t-il également dit, se référant aux adeptes d’une version ultra-conservatrice de l'islam qui rivalisent aujourd’hui avec le parti islamiste modéré au pouvoir en Tunisie.
De nombreux Tunisiens de tendance libérale ne partagent pas la confiance du mufti. Mais le Danois hocha vigoureusement la tête, apparemment satisfait.
«Vous voyez? Nos filles sont libres, non voilées, et elles convertissent les gens!», dit encore Battikh, en me regardant.
La cérémonie s’est terminée par la récitation de mémoire, par chacun des convertis, de la chahada, la déclaration de foi musulmane, en arabe: «Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son messager.» Aucun n’a vraiment réussi mais personne n’a demandé confirmation. Il y avait des sourires et des rires.
Par la suite, les hommes se serrèrent les mains, heureux. Et le traducteur italien, en colère, a exigé que je supprime toutes les photos que j’avais prises de lui ou de ses clients. Ce sont des cadres italiens, souffla-t-il, et ils pourraient perdre des clients si leur conversion à l’islam était devenue publique.
Le mufti, apparemment résigné aux problèmes d’image de sa religion, a tout simplement haussé les épaules.
Traduit de l’anglais par Imed Bahri
Source: ‘‘The Washington Post’’.
* Les titres et intertitres sont de la rédaction.