Les partis de l’opposition et les représentants de la société civile défilent lundi pour dire non à la violence politique et appeler à dissoudre les comités de protection de la révolution.
Par Zohra Abid
En avant-goût du mardi 23 octobre au Bardo, nombre de Tunisiens se sont mobilisés, lundi, à la mi-journée, à l’avenue Habib Bourguiba, au centre-ville de Tunis, pour condamner les violences et appeler à «la fin de la légitimité d’Ennahdha» et au retour du «pouvoir au peuple».
On défile, on crie, on agite des drapeaux et des slogans, sous le regard vigilant des hommes du ministre de l’Intérieur Ali Lârayedh, qui ont dressé plusieurs cordons pour encadrer la manifestation et empêcher d’éventuels affrontements. D’autant qu’une centaine de jeunes de la Ligue de la protection de la révolution, proches d’Ennahdha (au pouvoir), ont tenu à faire acte de présence et faire du tintamarre, appelant à la dissolution de Nida Tounes, leur ennemi juré du moment et à l’assainissement de l’administration.
Les jeune du Front Populaire, le 22 octobre 2012-Ph. Mohamed M'Dallah.
Marche pacifique contre la «troïka»
«Non à la violence… Dissoudre les comités de la protection de la révolution... Lârayedh démissionne… Ennahdha et alliés, dégagez !... Le pouvoir est au peuple…»
Tels sont donc les principaux slogans scandés par les quelque 3.000 manifestants qui ont défilé sur l’avenue Bourguiba, à l’appel du Front populaire, du Parti républicain, de la Voie démocrate et de Nida Tounes, les principales formations de l’opposition et qu’unit la même vision politique d’un pays moderne, progressiste, laïque et où la religion est tenue à l’écart de la politique. Des artistes, hommes des médias, défenseurs des droits de l’homme, représentants de la société civile et simples citoyens se sont joints à la marche pacifique.
Lotfi Naqdh dans l'esprit de tous les manifestants-Ph. Mohamed M'Dallah.
Sous un soleil automnal, des Tunisiens et des Tunisiennes, en colère contre la «troïka» au pouvoir et le gouvernement Jebali, se sont donné, une nouvelle fois, rendez-vous sur l’artère principale de la capitale. Ils ont répondu à l’appel lancé sur les réseaux sociaux soit par le Front populaire, qui regroupe 11 partis sous le leadership de Hamma Hammami et Chokri Belaïd, soit par «la troïka de l’opposition» : le Parti républicain, la Voie démocrate et Nida Tounes, qui s’apprêtent à lancer un front électoral face à Ennahdha et à ses alliés.
A chacun son point de départ. Mais au fil de la marche, ils ont fini par se regrouper à la Place 14 Janvier et de se serrer les rangs, côte-à-côte, au niveau de l’avenue Mohamed V.
Les femmes d'Al-Massar, toujours en première ligne.
Deux heures durant. A part quelques mots de provocations verbales lancés par des nahdhaouis infiltrés dans la foule, il n’y a pas eu d’accrochages, la police, nombreuse, veillant au grain.
«Nous sommes venus exprimer notre rejet de la violence politique, crier notre colère contre l’incompétence et l’arrogance du gouvernement et appeler les constituants à leur devoir envers le peuple qui les a élus", résume une militante de Nida Tounes. «La nouvelle dictature islamiste qui s’annonce émet plusieurs signes inquiétants, dont la volonté de mettre la main sur les médias, la constitution de milices violentes et les tentatives d’exclure leurs adversaires de la vie politique», ajoute-t-elle, faisant allusion au projet de loi présenté par le Congrès pour la République (CpR) aux membres de la constitution, et qui vise à barrer la route à Nida Tounes.
La « troïka de l’opposition» se mobilise
Parti Républicain et Nida Tounes manifestent ensemble le 22 octobre 2012-Ph. Mohamed M'Dallah.
A midi, les partisans du Front populaire se sont donné rendez-vous devant le Théâtre municipal. Une heure après, ce sont les partisans de «la troïka de l’opposition» qui se sont retrouvés, à une cinquantaine de mètres de là, sous la statue d’Ibn Khaldoun. Une marche dans le calme. Pas de grabuge et l’hymne national entonné à plusieurs reprises, et tous unis contre «le clan de Ghanouchi, ennemi du peuple et de la démocratie».
Côté sécurité: les autorités ont tout prévu. L’armée a replacé ses unités et remis ses fils barbelés autour des établissements publics et des bâtiments sensibles. Une atmosphère de déjà vu. On se serait crus aux premiers jours suivants la révolution du 14 janvier 2011.
«Je n’ai jamais vu autant de policiers à la fois, en uniforme et en civil, dans un même endroit. On en voit en grand nombre dans toutes les venelles. Tous armés de matraques et de bombes à gaz, le regard lourd, prêts à en découdre à tout moment», commente un manifestant, qui estime cette présence massive des agents de sécurité plutôt rassurante, «quand on pense aux appels à la haine et à la violence lancés par les adeptes d’Ennahdha sur les réseaux sociaux».
Ministère de l'Intérieur entouré de barbelés.
Autre chose qui n’est pas passée, non plus, inaperçue : les portraits géants de Mohamed Lotfi Naqdh, mort jeudi, à Tataouine, lynché par des manifestants pro Ennahdha, et enterré dimanche en présence de plusieurs figures emblématiques de l’opposition. Sa mort a attisé la colère des citoyens, dont beaucoup sont sortis aujourd’hui dans la rue pour condamner l’exacerbation des violences attribuées aux partisans du mouvement islamiste Ennahdha.