Lettre ouverte à Mme Sihem Badi, ministre des Affaires de la Femme et de la famille, à propos de la création imminente de centres d'aide pour femmes violentées.
Par Sonia Mabrouk*
A la lumière de l'intervention du député Abdelaziz El Gotti à l'Assemblée national constituante (Anc) le 1er novembre 2012, qui a épinglé plusieurs ministres soupçonnés de mal gouvernance, dont surtout la ministre de la Femme, je me permets de soutenir cette démarche non pas en stigmatisant une gestion passée mais en attirant l'attention sur la gestion à venir afin de rationaliser les dépenses publiques.
Epargner au budget de l'Etat...
En effet, selon les propos de la ministre de la Femme (sur Shems FM, le 25 août 2012), des centres pour femmes battues devraient être ouverts à partir du mois de novembre.
A cet effet, j'invite énergiquement Mme Badi à réfléchir par deux fois avant d'aller de l'avant afin d'épargner au budget de l'Etat des charges énormes pour un résultat plus qu'hypothétique comme je vais le démontrer.
La décision de la ministre semble être exclusivement politique, elle n'a manifestement pas tenue compte des expériences menées aussi bien au sein de son ministère que par l'Union nationale des femmes tunisiennes (Unft) et surtout par l'Association tunisienne des femmes démocrates (Atfd). L'expérience canadienne peut s'avérer bénéfique car elle peut être considérée comme un exemple à suivre car c'est un cas typique de «success story».
Au Québec plusieurs associations offrent leurs services aux femmes battues dont la Fédération de ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec dont je me permets de vous faire part de l'expérience pour en tirer les enseignements nécessaires.
Ladite fédération comprend plus d'une dizaine de maisons d'hébergement qui accueillent des femmes violentées et en difficulté et ce, aux quatre coins du Québec.
Elles offrent aux femmes hébergées un milieu de vie sécuritaire, empreint de respect, d'écoute et de partage.
Sihem Badi annonçant en avril dernier sur Shems FM
la création de centres d'accueil pour femmes violentées.
S'inspirer de l'expérience québécoise
Trois aspects communs se dégagent de leur mandat :
- offrir le gite 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7;
- être un lieu d'appartenance pour les femmes hébergées ;
- soutenir les femmes dans leurs diverses démarches.
Ces maisons disposent en moyenne de 12 places par maison et offrent des services :
- d'écoute téléphonique;
- d'information et de référence;
- de soutien (situation de crise, services psychosociaux, réinsertion sociale...);
- et d'accompagnement divers (démarche juridiques, médicales, administratives...).
Ces centres accueillent ces femmes avec leurs enfants et des interventions adaptées sont offertes aux mères et à leurs enfants afin de répondre spécifiquement à leurs besoins. Les enfants hébergés sont en contact avec d'autres enfants et ont droit à des activités récréatives...
A la fin d'un séjour dans une maison d'hébergement, qui varie selon les besoins des femmes, celles-ci reçoivent un suivi post-hébergement de quelques semaines...
La société civile mieux outillée que l'Etat
En connaissance de cause, et à la lumière de ce qui précède, je déclare que les chances qu'a Mme Badi pour réussir dans son entreprise sont nulles et que le risque de gaspillage de fonds publiques est maximal et ce pour les raisons ci-après:
- aucun texte juridique portant création et organisation de centres publiques pour l'hébergement des femmes battues n'est encore disponible en Tunisie;
- dans les pays démocratiques, ces centres relèvent exclusivement de la société civile (et du volontariat et le bénévolat) et se trouvent, par conséquent, en dehors de toute exploitation ou polémique politique;
- ce type de centres est extrêmement budgétivore (en terme de temps et d'argent) et exigent la mobilisation permanente d'une armada de psychologues, juristes, assistantes sociales, animateurs pour enfants, administratifs, personnels chargés de la sécurité, du transport...;
- l'anonymat et la sécurité étant de mise, ces maisons doivent êtres convenablement équipées par des caméras de surveillance.
Campagne mobile de sensibilisation aux violences faites aux femmes, au Québec.
Mme Badi, plus vous lèverez vos mains de ce dossier délicat et mieux ça ira pour ces pauvres femmes qui risquent encore une fois d'être déçues avant comme après la révolution.
Soyez réaliste et modeste, pourquoi réinventer la roue et ne pas tirer les enseignements des expériences menées en Tunisie et ailleurs.
D'autres ministres de la Femme ont essayé et lamentablement échoué et votre prédécesseur Lilia Labidi (du gouvernement Béji Caïd Essebsi) a suspendu cette expérience en connaissance de cause.
Vous avez été avertie, n'est-ce pas?**
* Educatrice.
** Un courrier en ce sens lui a été adressé ainsi qu'au chef du gouvernement.
Article de la même auteure dans Kapitalis :
Tunisie. Le tandem maléfique CpR-Ennahdha: le cas des jardins d'enfants coraniques