Interview accordée par Ghazi Gherairi*, juriste et ancien porte-parole Haute instante pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror), au journal suisse ''Neue Zürcher Zeitung''.**
En Tunisie, les travaux de l'Assemblée nationale constituante (Anc) prendront plus de temps que les grands partis en ont convenu au départ. Ghazi Gherairi, ancien porte-parole de la Haute instante pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror), estime que la Constituante fait face à une crise de confiance.
La question de savoir si le gouvernement de transition a toujours, après le 23 octobre, toute sa légitimité est encore chaudement débattue en Tunisie. Pour le spécialiste de droit constitutionnel Ghazi Gherairi, la réponse est claire sur le plan juridique. La Tunisie a toujours un gouvernement légitime, même si son mandat est terminé. Il a, cependant, un problème de crédibilité, explique M. Gherairi, rencontré à Tunis.
Un rythme discutable
Ces chers constituants et constituantes ne sont pas très pressés de terminer la constitution.
M. Gherairi a rappelé que 11 des 12 plus grands partis se sont engagés, il y a un peu plus d'an, au sein de la Hiror, de préparer une nouvelle Constitution dans un délai d'un an.
Aujourd'hui, deux de ces partis, aujourd'hui au pouvoir, n'entendent pas respecter cet engagement. Cela mine la relation de confiance entre le peuple et ses dirigeants politiques. «Comment pouvez-vous expliquer aux citoyens que les responsables élus actuels ne sont pas une caste qui est exactement la même que celle de leurs prédécesseurs?», s'interroge M. Gherairi. Pour restaurer la confiance perdue, le gouvernement de transition doit ouvrir un dialogue avec les autres partis et négocier avec eux une nouvelle date pour l'achèvement des travaux de l'Assemblée constituante, et donc aussi pour de nouvelles élections. Bref un nouveau consensus national.
Le juriste est particulièrement critique à l'égard du rythme lent des députés. Il est inacceptable qu'ils aient eu besoin de presque un an pour préparer un projet initial.
Il faut fixer la date des prochaines élections.
Apparemment, ce manque d'empressement à des visées politiques. Parce que les retards ont permis au gouvernement de transition dirigé par le parti islamiste Ennahdha de rester plus longtemps aux commandes et d'utiliser ce temps pour accroître ses chances de remporter les prochaines élections. Les questions de la rémunération des membres de l'Anc et de leur éventuelle pension de retraite ont accentué la question du divorce moral avec une large frange de Tunisiens.
Sur certains points, estime M. Gherairi, le projet de constitution montre des failles, même par rapport à l'ancienne constitution de 1959, par exemple, en ce qui concerne les droits des femmes ou de la conformité aux normes internationales relatives aux droits de l'homme.
Heureusement, la société civile tunisienne a exercé une forte pression sur l'Assemblée constituante chargée de réviser les articles discutables.
De l'optimisme malgré tout
La troïka au pouvoir est légitime mais pas crédible.
N'aurait-il pas été plus judicieux de réviser la constitution en 1959 au lieu de repartir de zéro pour rédiger une nouvelle constitution? M. Gherairi s'inscrit catégoriquement en faux contre cette approche. Si nous considérons que les évènements de janvier 2011 ont été une révolution, il est important de saper la base juridique de l'ancien système. Et cela signifie, d'abord, rédiger une nouvelle constitution. N'oublions pas que la Tunisie a une très riche tradition juridique. C'est le premier pays arabe à avoir aboli l'esclavage et à se doter d'une constitution.
* Spécialiste de droit constitutionnel, enseignant à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, secrétaire général de l'Académie internationale de droit constitutionnel.
** Texte traduit de l'allemand. Le titre et les intertitres sont de Kapitalis.