La réunion de la délégation de dirigeants de Nida Tounes avec les membres de la section France Nord a été un moment de débat très enrichissant sur la stratégie du parti pour gagner les prochaines élections.
Par Houda Zekri
Mardi 6 novembre, dans la Salle Saint Bruno, en face de l'Eglise Saint Bernard et du square Saint Bernard- Saïd Bouziri1, à la Goutte d'or (18e art.) – haut lieu des luttes de l'immigration – qu'a eu lieu la réunion publique organisée par la section Nida Tounes France Nord, en présence de trois membres du comité exécutif: Taïeb Baccouche (secrétaire général et responsable des relations extérieures), Mahmoud Ben Romdhane (responsable du programme économique et social) et Rafaâ Ben Achour, ainsi que le coordinateur France Nord, Hédi Jilani, et Hédi Benzarti, membre du comité élargi.
Enthousiasme dithyrambique et crainte excessive
Dans la salle une centaine de personnes: des curieux, des sympathisants, des adhérents et même des responsables de partis amis (Al Massar). Certains sont venus de loin (Le Havre) pour transmettre leurs doléances aux dirigeants de Nida T ounes.
L'ambiance était électrique et le pullulement, visible à l'œil nu. Entre l'enthousiasme dithyrambique des uns et la crainte excessive des autres, les leaders avaient beaucoup à faire.
Et pourtant, tout a commencé par une minute de silence, en hommage à Lotfi Nagdh, coordinateur Nida Tounes à Tataouine (sud tunisien), lynché et décédé le 18 octobre 2012.
Après avoir présenté le curriculm vitae des présents, l'animatrice de la soirée – moi-même en l'occurrence – a donné la parole à Taïeb Baccouche. Ce dernier a d'abord réaffirmé l'ancrage politico-historico-civilisationnel du parti : mouvement national, lutte syndicale et attachement aux valeurs universelles. Il a ensuite décrit la vision qu'avait Nida Tounes de l'Etat tunisien: démocratique, républicain, civil et moderne. Il a également insisté sur l'identité plurielle des Tunisiens, qui transcende sa dimension arabo-musulmane.
A ceux qui voulaient contester l'existence même de ce parti, qui ne pouvait se targuer d'avoir la légitimité des urnes et que l'on qualifiait de recycleur des caciques de l'ancien régime, M. Baccouche a répondu que l'heure était grave et, qu'aujourd'hui, la question devait être posée en ces termes : «Demain, la Tunisie Sera-t-elle ou ne sera-t-elle pas, LA Tunisie?» Pour lui, le pays va droit au mur et les signaux donnés par le gouvernement et par le parti Ennahdha ne sont guère rassurants.
Le quotidien des Tunisiens est fait de violence politique, de misère et d'intimidation. Les factions salafistes sévissent en toute impunité et la peur commence à gagner du terrain.
Les échéances électorales sont floues et il semble que la transition démocratique n'est pas en bonne voie.
Photo H. Chenchabi/Aidda.
De l'écharpe mauve à la barbe et au sceau de piété
Quant aux quelques Rcdistes qui ont choisi de rejoindre les rangs de Nida Tounes, ils sont de loin, beaucoup moins nombreux que ceux qui ont troqué l'écharpe mauve contre une barbe et un sceau de piété et qui occupent, actuellement, des postes de responsabilité, aux côtés du gouvernement nahdhaoui ou qui sont à la tête des fameux «comités de défense de la révolution». Le droit-de-l'hommiste qu'il est ne peut cautionner ni procès, ni jugements politiques à l'encontre des ex-rcdistes. Pour lui, seule la justice ou justice transitionnelle – dont Nida Tounes n'arrête pas de réclamer la mise en place et dont les modalités et mécanismes tardent malheureusement à se mettre en branle – est en mesure de juger les coupables. C'est aux citoyens actifs, et soucieux de l'avenir de la Tunisie, de réunir les preuves et d'intenter des procès à l'encontre de ceux qui ont fait souffrir les Tunisiens, sous le régime de Ben Ali.
Pour lui, Nida Tounes est un parti d'ouverture, prêt au compromis, mais non aux compromissions.
Taïeb Baccouche a terminé son intervention par une note d'espoir: «Le défi est historique et l'adversaire est rude, mais seul Nida Tounes constitue une réelle alternative politique. C'est en construisant un front démocratique avec tous ceux qui se reconnaissent dans les valeurs du parti, que les démocrates arriveront à sortir le pays de l'impasse et à réaliser les objectifs de la révolution: travail, liberté dignité».
Après Taïeb Baccouhe, ce fut au tour de Hédi Jilani, coordinateur Nida Tounes France Nord, de faire un brillant discours, une sorte d'hymne à la liberté, à la tolérance et à l'union, où il a dénoncé la manipulation de la religion par Ennahdha, pour faire taire les contestations légitimes du peuple et pour justifier l'injustifiable.
A ceux qui accusent les démocrates d'être des gauchistes («yassariyyin»), des laïcards («'ilmaniyyin»), des athées («moulhidin»), des francs-maçons («massouniyyin») et des sionistes («souhyouniyyin»), il a rétorqué: «Nous sommes musulmans et notre islam est celui des nos martyrs et de Aboul Kacem Chebbi. Notre islam est modération et vivre-ensemble, paix, apaisement et adaptation. Notre islam ne veut pas qu'on retourne des siècles en arrière (...)»
M. Jilani est, par la suite, revenu sur l'initiative de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) et a insisté sur l'importance du dialogue national, aussi bien pour que le camp démocrate gagne les prochaines échéances électorales, que pour travailler sur le long terme et ancrer ainsi la Tunisie dans la tradition démocratique.
Un programme économique d'orientation sociale-démocrate
Photo H. Chenchabi/Aidda.
Mahmoud Ben Romdhane a, quant a lui, abordé le programme social et économique de Nida Tounes, sur lequel planchent plus de cinquante experts. Il a commencé par en rappeler les références intellectuelles ainsi que son orientation sociale-démocrate. Il a dit que même s'il n'existait pas dans sa version définitive, le programme n'en n'était pas moins, très avancé, et que ses instigateurs voulaient qu'il se fasse dans la concertation. Ben Romdhane a annoncé la présentation publique de ce programme, d'ici deux semaines. Il a, par ailleurs, souligné l'importance de l'engagement et de la participation citoyenne des Tunisiens en France.
Après ces trois interventions, assez enrichissantes, la parole était la salle. Les uns se sont interrogés sur la place accordée par Nida Tounes à la société civile en France, les autres sur la stratégie du parti pour gagner les élections et certains sont même allés jusqu'à demander si Nida Tounes était prêt à s'allier avec Ennahdha en cas de victoire, ce à quoi Taïeb Baccouche a répondu par la négative.
Nombreuses les questions qui sont restées en suspens, mais Hédi Jilani a promis d'y répondre, lors d'un prochain rendez-vous et en présence des dirigeants du parti, car ce n'est là, qu'une première rencontre2 entre les dirigeants «nidaistes» et les Tunisiens en France, les sympathisants et membres du parti. A suivre, donc.
C'est l'hymne national qui a eu le mot de la fin. Tous, debout, ont scandé «Houmata al hima, ya houmata al hima» («Défenseurs de la patrie, ô défenseurs !»), pour se donner du courage et pour continuer le combat...
Notes :
1-Le square Saint Bernard – Saïd Bouziri a été inauguré le samedi 23 juin 2012, en présence de Bertrand Delanoë, maire de Paris. Saïd Bouziri, le Tunisien, fut un grand militant des droits de l'homme et de l'immigration.
2- Du 6 au 9 novembre, une délégation de Nida Tounes a effectué une visite à Paris, rythmée par une série de rencontres et de consultations avec des officiels français, ainsi qu'avec des acteurs de la société civile tunisienne, présents sur la scène française, a eu lieu. Mercredi 7 novembre, Béji Caïd Essebsi, Taïeb Baccouche, Mahmoud Ben Romdhane se sont entretenus avec le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius.