La défense des héritiers de Lotfi Nagdh, lynché jusqu'à la mort le 18 octobre à Tataouine par des membres de la Ligue de la protection de la révolution, demande le transfert du dossier du tribunal de Tatouine à celui de Tunis. Les raisons sont multiples.
Par Zohra Abid
Parce qu'il y a des menaces et des pressions exercées par des membres de la Ligue de la protection de la révolution (proches d'Ennahdha) sur des témoins et des membres de la famille de feu Lotfi Nagdh, secrétaire général de l'Union régionale des agriculteurs de Tataouine et coordinateur de Nida Tounes dans cette ville du sud. «Et parce qu'il y a des rassemblements devant le tribunal de Tataouine visant à faire pression sur les juges, les avocats et la société civile, à chaque fois où quelqu'un est entendu par le juge d'instruction», ont plaidé, vendredi lors d'une conférence de presse au siège de Nida Tounes au quartier des Berges du Lac à Tunis, les avocats Houcine Zorgui et Ezzeddine Bougarras. «Pour qu'il y ait un procès équitable, il vaut mieux transférer le dossier vers un tribunal similaire à Tunis, loin de la petite ville de Tataouine où tout le monde se connait et où les uns influencent les autres par n'importe quel moyen», ont-ils ajouté.
Taieb Baccouche.
Le Code pénal permet le transfert de dossier
Les deux avocats ont affirmé avoir fait une demande en ce sens au procureur général auprès du Tribunal de Cassation et ils espèrent avoir une réponse positive. «Normalement, il y a cette possibilité et, dans les 90% des cas dans des dossiers simples, la réponse est positive. Que dire alors lorsqu'il s'agit d'un dossier aussi délicat et dur à traiter... Dans des cas similaires, on se base sur l'article 294 du Code pénal et le juge accepte», a déclaré Me Bougarras, sans émettre le moindre doute sur l'honnêteté et la transparence des juges du tribunal de Tataouine.
Si la défense insiste pour qu'il y ait transfert du dossier, c'est aussi parce qu'on a enregistré plusieurs pratiques qui peuvent nuire au bon déroulement de ce procès.
«Depuis l'assassinat de Lotfi Nagdh, plusieurs membres de la Ligue de la protection de la révolution se sont éclipsés, mais une soixantaine de personnes au moins ont planté des tentes devant le tribunal de Tataouine et brandissent des slogans appelant à l'assainissement et contre Nida Tounes», a relevé, de son côté, Taïeb Baccouche, le secrétaire général de ce parti.
Ridha Belhaj.
La guerre à tout prix contre Nida Tounes
L'ancien ministre de l'Education a passé aussi en revue les déclarations de certains hommes politiques – avec la complicité de certains «journaux jaunes» – hostiles à Nida Tounes qui vont même jusqu'à accuser des membres de ce parti de pratiquer le blanchiment d'argent.
M. Baccouche s'est aussi arrêté sur les nombreuses attaques des sièges de Nida Tounes et sur ses militants. «Une campagne est menée pour frapper Nida Tounes. Plusieurs de nos sièges ont été attaqués ainsi que des dirigeants agressées comme Boujemaâ Remili à Testour ou l'assassinat de Lotfi Nagdh», a-t-il rappelé, dénonçant la violence politique qui commence à prendre des dimensions inquiétantes dans le pays.
Ridha Belhaj, Houcine Zorgui et Ezzeddine Bougarras.
Selon le porte-parole et directeur exécutif de Nida Tounes, Ridha Belhaj, les choses ont commencé à se corser et on a l'impression que des parties s'organisent pour faire pression sur la justice. «Selon les déclarations du porte-parole du ministère de l'Intérieur et celles d'un haut responsable du gouvernement sur le plateau d'une chaîne de télévision étrangère (il fait allusion à Hamadi Jebali, chef du gouvernement provisoire sur la chaine saoudienne Al Arabiya, Ndlr), la mort de Lotfi Nagdh est naturelle et due à un échange de violences. Et il semble que l'on va orienter la justice dans cette direction, mais nous restons confiants en nos juges», a lancé M. Belhaj, rappelant que les politiques n'ont aucun droit de se mêler des affaires tant qu'elles sont entre les mains de la justice. «Ceci nous donne une idée sur l'intervention aujourd'hui des politiques dans les dossiers de la justice comme cela fut le cas sous l'ancien régime. Et pas seulement. Car, le fait de donner congé au juge d'instruction ayant instruit le dossier n'a rien de rassurant. Il y aurait même anguille sous roche. Puisque, quelques jours après, un deuxième juge a été chargé de l'affaire. Face à un dossier aussi lourd à gérer, le congé n'aurait-il pas pu être reporté?», s'est-il demandé.
Qui cherche à faire avorter la révolution?
Ridha Belhaj pendant la conférence de presse.
M. Belhaj est revenu sur la Ligue de la protection de la révolution. Selon lui, celle-ci doit être dissoute car elle n'a plus aucune raison d'exister. «Tout le monde a participé dans cette Ligue pour défendre les intérêts et les biens du pays, mais c'était au début de la révolution. Aujourd'hui, il y a un Etat qui veille sur les intérêts du peuple. Et ce sont d'autres personnes, soutenus par Ennahdha et le Congrès pour la république (CpR), qui constituent cette Ligue et cherchent à faire avorter la révolution», a-t-il accusé. Et de conclure que les membres de Nida Tounes tiennent plus que jamais pour qu'il y ait un procès équitable et que les intérêts des orphelins et héritiers de feu Lotfi Nagdh ne soient pas sacrifiés.