Et revoilà le Terminator nahdhaoui qui, d'un simple coup de baguette magique, évacue les incompétences, maladresses et autres pauvretés d'Ennahdha et lave encore plus blanc le linge de la «troïka»...

Par Moncef Dhambri*

M. Lotfi Zitoun a donc repris du service. Jeudi, le gladiateur nahdhaoui s'est mesuré à deux poids lourds de l'opposition, Messieurs Ahmed Néjib Chebbi et Samir Taïeb, sur le plateau du ''Milaf Esse3a'' (Dossier de l'Heure) d'Hannibal TV.

Depuis le vendredi 7 septembre dernier, l'on a pu penser que le coup d'éclat de M. Zitoun sur la place de la Kasbah, haranguant avec son mégaphone ses fans d'Ekbess venus des quatre coins du pays, aurait déplu aux grands manitous d'Ennahdha et que son patron direct lui aurait intimé de garder le silence et de se faire oublier. L'on se souvient de la manière plutôt bulldozer avec laquelle le conseiller politique du chef du gouvernement Hamadi Jebali avait pris l'habitude de traiter de toutes les affaires. L'on se souvient de son style «va-t-en-guerre», de son inélégance et son entêtement obsessionnel à vouloir balayer tout et tous sur son passage.

Ahmed Néjib Chebbi, l'éternel «arrondisseur d'angles».

Le loup ressort de sa tanière

Pendant plus de deux mois, donc, la tête pensante du Premier ministère s'est contentée de très rares apparitions médiatiques et de quelques brèves déclarations qui seraient passées inaperçues.

L'on pouvait également croire que le chef du gouvernement a choisi de changer la stratégie de ses relations publiques en dépêchant sur le devant de la scène des personnalités nahdhaouies, moins cassantes que M. Zitoun, qui donneraient une certaine illusion de softness.

Cette nouvelle approche d'Ennahdha s'imposait à la veille du tournant décisif du 23 octobre. Tout pouvait arriver ce jour-là: l'on craignait une rupture irréparable et même «une révolution de la Révolution». Dans ce contexte de haute tension, la visibilité du Rambo nahdhaoui aurait compliqué les choses encore plus pour les amis du cheikh Rached Ghannouchi.

Le baroudeur de la Kasbah a ainsi cédé le terrain relationnel à des Ali Lârayedh, Samir Dilou et Sahbi Atig et autres figures d'Ennahdha plus cool que lui. Ces dirigeants nahdhaouis décontractés, souriants et avenants ont donc été chargés de rassurer certains électeurs nahdhaouis désabusés et, peut-être aussi, de conquérir la sympathie des publics.

A présent, il semblerait que le virage dangereux du 23 octobre dernier a été négocié avec plus ou moins de succès et qu'Ennahdha n'aurait, pour ainsi dire, pas perdu cette partie de bras de fer: les constituants peinent encore et encore sur leur texte constitutionnel, le pays survit malgré tout, l'opposition se forme, se reforme et se déforme, personne ou presque ne parle plus de l'initiative de l'Ugtt et la «troïka» au pouvoir a lancé au hasard une proposition de date pour les élections (lesquelles?), etc.

La vie continue. Et Lotfi Zitoun, qui a aiguisé ses couteaux assassins dans le silence du Palais de la Kasbah, peut donc ressortir de sa tanière pour recadrer une fois encore le discours nahdhaoui.

Bien plus qu'aucun autre dirigeant d'Ennahdha, ce gourou de «l'islamo-démocratie» reste indéniablement le plus redoutable théoricien, le stratège et le tacticien le plus pernicieux de la conquête nahdhaouie.

L'on a pu croire, un court instant, lors de l'émission ''Milaf Esse3a'' de notre collègue Faouzi Jrad, que M. Zitoun s'est assagi: au tout début du débat, il prenait de la hauteur, il articulait ses phrases d'une voix monocorde et pouvait même donner l'impression de somnoler. Il serait devenu un doux agneau, une âme généreuse, un Nahdhaoui fréquentable... que l'on inviterait chez soi pour une tasse de thé de fin de journée. Et puis, d'un seul coup, sentant la fin de l'émission approcher, le Mister Hyde en cet homme a vite repris le dessus et la machine à concasser s'est mise en branle.

Et revoilà le Terminator nahdhaoui!

Il commence, tout d'abord, par décocher une flèche meurtrière à l'adresse de l'animateur du ''Dossier de l'Heure'', lui reprochant de l'interrompre. Ce petit incident, qui pouvait ne pas être remarqué (d'ailleurs, cela s'est terminé par une légère caresse sur la main de Faouazi Jrad!), a eu le mérite de permettre à M. Zitoun de prendre le contrôle total de la dernière demie heure de l'émission.

L'invité du Congrès pour la république (CpR), Aziz Krichen, à sa droite, ne lui a été d'aucune aide: il avait du mal à aligner ses mots; il ânonnait des idées décousues et inintelligibles et ne semblait pas chercher l'affrontement avec l'opposition. Alors, le bagarreur Lotfi Zitoun décida d'en découdre tout seul avec un Ahmed Néjib Chebbi, l'éternel «arrondisseur d'angles», et un Samir Ettaïeb, un homme «trop civilisé et trop poli» pour croiser le fer avec le Terminator nahdhaoui.

Une fois les choses remises dans cet ordre, l'ordre Zitoun, le doctoral théoricien d'Ennahdha pouvait alors développer ses doctrines, pontifier et obliger ses adversaires à l'écouter.

L'on retiendra deux ou trois idées de l'intervention professorale du bulldozer nahdhaoui: il accusera l'opposition de chercher coûte-que-coûte à politiser tout ce qui se fait ou ne se fait pas et à diviser les Tunisiens; il trouvera trois origines (extrémiste, sociale et criminelle) à l'insécurité et à la protestation; et il déplorera que «certaines parties continuent toujours de semer la peur».

Lorsqu'il daigne quitter sa tablette, M. Lotfi Zitoun explique à ses interlocuteurs que le pays, en cette phase transitionnelle, n'aurait jamais dû céder au jeu de la politique politicienne, une activité malsaine faite de surenchères, de pinailleries et d'obstructionnismes.

Comprenons, donc, que si les choses n'ont pas marché, que si la situation en Tunisie s'est détériorée et que notre révolution est en panne, la faute est imputable à l'opposition du «zéro-virgule-quelque-chose» qui, par obstination ou déformation politicienne, ne sait dire que «non» et sacrifie l'essentiel sauvetage du pays. Déduisons, également, que le gouvernement Jebali, durant la dizaine de mois de sa gestion des affaires du pays, a toujours placé sa démarche au dessus de la mêlée politique pour servir l'intérêt de la Tunisie avant toute autre chose. Et concluons, enfin, que Lotfi Zitoun, en idéologue subtil, n'optera plus pour l'attaque frontale contre les médias et leurs syndicats, les Rcdistes «que l'on chasse par la porte et qui reviennent par la fenêtre», les magistrats ou Kamel Jendoubi et ses amis de l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie)....

Samir Ettaïeb, un homme «trop civilisé et trop poli» pour croiser le fer avec le Terminator nahdhaoui.

Le nouveau discours d'Ennahdha consiste désormais à dresser une certaine «majorité silencieuse» contre «les semeurs de panique». L'idéologie nahdhaouie, sous ce nouveau packaging, ne proposera plus seulement aux électeurs de voter pour «des candidats honnêtes et qui craignent Dieu», mais elle leur expliquera également qu'il faudra faire barrage aux «fauteurs de trouble» qui ont paralysé l'action gouvernementale. Et d'un simple coup de baguette magique, les incompétences, les maladresses et autres pauvretés nahdhaouies sont évacuées et l'enzyme Zitoun a lavé encore plus blanc le linge de la «troïka»...

Nous garderons aussi de ce numéro du 15 novembre de ''Milaf Esse3a'' l'image de cette arrogance innée du Rambo nahdhaoui qui lui fera couper la parole, à plusieurs reprises, à ses adversaires laïcs et modernistes.

Je n'ai rien contre Ennahdha, mais je n'inviterai jamais Lotfi Zitoun prendre le thé chez moi.

* Universitaire et journaliste.

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