On peut ne pas être hostile à Ennahdha, mais, pour de très nombreuses raisons, beaucoup de Tunisiens, à l'instar de l'auteur ces lignes, lui préfèrent Kamel Jendoubi, un homme de devoir.
Par Moncef Dhambri*
Une certaine «révolution ingrate» a pris pour cible, ces derniers jours, un des enfants du 14 janvier 2011 le plus dévoué, le plus généreux et – n'ayons pas peur des superlatifs! – indéniablement l'homme qui a offert à notre Tunisie le meilleur cadeau: Kamel Jendoubi, auquel nous devons tous le brillant succès des élections du 23 octobre 2011.
La reconnaissance des siens et l'admiration de l'opinion mondiale
Il y a d'autres Tunisiens, des milliers, voire des centaines de milliers, qui ont fait preuve d'autant d'abnégation. Il y en a d'autres, aussi nombreux, que les projecteurs de la scène politique n'ont pas révélés au grand public ou soutirés à l'anonymat des coulisses, mais qui n'en sont pas malheureux, convaincus comme ils sont que le meilleur don de soi est celui reste gratuit et silencieux.
Kamel Jendoubi, lui, a mérité la une des journaux, la reconnaissance de tous ses concitoyens et l'admiration de l'opinion mondiale, tout simplement parce qu'«un certain hasard» a voulu qu'il ait été élu par Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (Hiror) comme président de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) et qu'il ait accompli excellemment sa mission – de bout en bout et sans peur et sans reproche.
Les Tunisiens auront-ils une nouvelle fois la possibilité de choisir leurs dirigeants?
Pourquoi lui en veut-t-on, aujourd'hui? Pourquoi dérange-t-il? Et, peut-être serait-il plus important de savoir, qui aurait intérêt à ce que cet homme cède la place à quelqu'un d'autre et qu'il retrouve son exil parisien?
Ceux qui ne souhaitent plus «voir» M. Jendoubi
Mes réponses à ces questions ne seront pas directes. Avec ceux d'entre les lecteurs de Kapitalis qui voudront bien me suivre jusqu'au bout de mes raisonnements, nous tenterons de brosser le portrait, ou les portraits, de ceux et celles qui ne souhaiteraient plus «voir» M. Jendoubi.
Ce grand homme – et je mesure mes mots ! – est aujourd'hui au cœur d'une polémique au sujet d'une prétendue «affaire de gros sous et de mauvaise gestion de l'argent public». Tous ces mots cachent mal l'acharnement qui anime certaines personnes à vouloir faire regretter à ce citoyen tunisien, qui continue malgré tout de se considérer comme les autres, d'avoir fait pour son pays ce qu'il a fait. Et qu'il le referait, si on le lui redemandait, avec la même indépendance qu'il a défendue bec et ongle, lors de l'élection de l'Assemblée nationale constituante (Anc).
Kamel Jendoubi est l'artisan du brillant succès des élections du 23 octobre 2011.
Le sexagénaire, un peu Don Quichotte soixante-huitard, a dit et redit son entière disposition à contribuer comme il le peut à ce qui se construit en Tunisie. Il a dit et redit qu'il a la conscience tranquille...
Cet homme à conviction a également dit et redit plusieurs autres choses qui ont sans doute mis mal à l'aise certaines parties.
Kamel Jendoubi embarrasse par plus d'une de ses qualités et ses talents nombreux. Son idéalisme, sa modernité, sa rectitude, sa compétence, son professionnalisme, son progressisme et son ouverture – les lecteurs de Kapitalis complèteront ma liste! – ne lui ont valu que suspicions et critiques acerbes auprès de certaines personnes.
Ces dernières semblent avoir du mal à accepter qu'il puisse y avoir des Tunisiens, comme M. Jendoubi, qui se laissent guider par des rêves, les rêves les plus beaux qui seront à la hauteur de notre 14 janvier. Une révolution «aussi inattendue» que la nôtre, une révolution «aussi folle» que la nôtre, et aussi spontanée, mérite d'être animée par des idéalistes comme Kamel Jendoubi.
Le beau cadeau de «l’index bleu» c'est aussi Kamel Jendoubi.
Cet idéalisme, donc, dérange, car il perturbe les petits bricoleurs politiciens très terre-à-terre qui refusent de dépenser (pour leur pays) sans compter. M. Jendoubi, lui, ne compte pas, ne calcule pas: il aime la Tunisie, voila tout.
Avant de lancer son entreprise gigantesque de l'élection de l'Anc, il a consulté les experts de l'intérieur et de l'extérieur. Il a établi des contacts, tâté tous les terrains, réfléchi, demandé assistance à des hommes et des femmes compétents et procédé à pas mesurés afin de nous offrir ce beau cadeau de «l'index bleu» du 23 octobre 2011. Qui peut prétendre, à lui seul ou en équipe, avoir réalisé un travail aussi herculéen?
Faites la somme totale de ce qui a pu être fait dans notre pays, durant les dix derniers mois, additionnez tous les efforts du team gouvernemental aussi nombreux que celui réuni sous la houlette de Hamadi Jebali, et le résultat final de votre gymnastique cérébrale n'égalera jamais, jamais, l'exploit propre et sans bavure de l'élection de nos 217 constituants.
Cette perfection, que lui-même reconnait comme étant «perfectible», agace.
«Le miroir en face et le poignard dans le dos»
Kamel Jendoubi devant l'affiche des élections de 2011.
A l'aise et serein face aux critiques, le progressiste Kamel Jendoubi accepte qu'il reste possible de faire mieux. Maîtrisant son sujet, il reconnaît les petites failles et offre les solutions. Méthodique et pragmatique, il sait où aller, il sait s'élever.
Et c'est bien cette hauteur qui dérange la bassesse des pêcheurs en eau trouble...
Kamel Jendoubi nous a expliqué, à plusieurs reprises, que la campagne pour les prochaines élections législatives et présidentielles devra être soumise à un contrôle plus strict: que la prochaine Isie devra, par exemple, verrouiller à plus d'un tour les entrées et sorties de l'argent électoral, que tout s'opèrera obligatoirement dans une plus grande transparence, etc.
Nous comprenons, donc, qu'une telle fermeté puisse incommoder certaines personnes. Nous comprenons aussi que pareille rigueur déjoue certaines manœuvres irrégulières.
Nous pouvons, également, deviner les allusions de l'homme de l'Isie lorsqu'il se plaint d'un «certain double langage» («le miroir en face et le poignard dans le dos», selon l'expression populaire tunisienne). Peut-être que ces mots couverts de l'homme civilisé qu'est M. Jendoubi visent-ils certains ennemis d'une véritable démocratisation de notre pays, certains opposés à la modernité et à la laïcité. Peut-être, peut-être...
Je n'ai rien contre Ennahdha, mais, pour de très nombreuses raisons, je lui préfère Kamel Jendoubi.
* Universitaire et journaliste.