L'interview de Slim Chiboub a été vue hier soir par plusieurs millions de Tunisiens. Finalement, on n'en sait pas plus aujourd'hui sur l'homme et son clan. Et l'apocalypse annoncée par Me Fathi Layouni n'a pas eu lieu.
Par Ridha Kéfi
L'entretien avec le gendre de l'ex-président, réalisée par Moez Ben Gharbia à Abou Dhabi, où l'homme s'est réfugié au lendemain de la révolution du 14 janvier 2011, et qui a été diffusé hier soir par l'émission ''21 heures'' sur la chaîne Attounissia, n'a pas réservé des révélations explosives. On en retient, toutefois, deux ou trois choses.
D'abord, l'ex-président de l'Espérance sportive de Tunis est prêt à rentrer au pays pour faire face à ses juges. Il dit faire confiance à la justice de son pays et exige seulement qu'on préserve sa dignité. Ce qui est censé être assuré à tout citoyen tunisien, quel que soit son rang ou le forfait que l'on puisse lui reprocher.
Chez Kadhafi pour secourir les régions défavorisées
Tout en admettant avoir profité de sa proximité avec Ben Ali, son beau-père, Slim Chiboub affirme n'avoir rien acquis par la corruption et la prévarication. Il dément, par exemple, catégoriquement certaines rumeurs le concernant, comme d'être actionnaire dans la société Tunisie Autoroutes ou de posséder le flanc d'une colline à Gammarth, comme affirmé dans un documentaire de la chaîne Watania 1.
Sa fortune, qu'il relativise, serait, selon lui, basée pour l'essentiel à l'étranger où il aurait fait l'essentiel de ses affaires, probablement dans les Emirats arabes unis où il semble disposer de solides amitiés au sein des familles régnantes.
Slim Chiboub, qui dément aussi avoir été à Tunis, le 14 janvier 2011, affirme avoir quitté le pays deux jours plus tôt pour la Libye où il espérait mobiliser, auprès de feu-Mouammar Kadhafi, l'aide financière nécessaire pour venir en aide des régions où la révolution a éclaté. Et c'est à l'aéroport de Tripoli, où il attendait de prendre l'avion de Tunisair pour Tunis – il se serait même enregistré sur le vol – qu'il a appris que sa maison à Sidi Bou Saïd a été dévalisée et que Ben Ali et sa famille ont quitté le pays.
Le gendre de Ben Ali n'a donc pas été chargé d'une mission auprès de Kadhafi, comme de demander une aide militaire? Slim Chiboub s'inscrit en faux contre de telles allégations. Selon lui, ses relations avec Ben Ali étaient au point mort depuis 2004 et il était même devenu indésirable dans l'entourage présidentiel, au point de subir quelques sales coups.
Appel du pied en direction des islamistes
L'ex-président de l'Espérance – c'est le titre qu'il semble le plus revendiquer aujourd'hui – se garde de prendre une position clairement hostile vis-à-vis de son beau-père. Il évite de révéler quoi que ce soit concernant Ben Ali et même concernant l'épouse du président déchu, Leïla Trabelsi, qui le détestait pourtant cordialement et a beaucoup fait pour l'éloigner du Palais de Carthage. Il critique même ouvertement les «azlems» (sbires) de l'ex-président «qui n'ont pas encore digéré les privilèges acquis grâce à l'ancien système et jouent aujourd'hui aux grands révolutionnaires en tentant de se positionner sur le nouvel échiquier politique, disputant le rôle de victimes de l'ancien système à ceux qui l'étaient réellement et qui ont passé de longues années en prison ou en exil», explique Slim Chiboub, dans une sorte d'appel du pied en direction des islamistes, aujourd'hui au pouvoir.
Alors que Moez Ben Gharbia essayait de lui faire citer quelques noms, par-ci par-là, Slim Chiboub, rusé, calculateur et prudent, a évité de mordre à l'hameçon. Il a juste rendu hommage à feu Aziz Miled, ex-patron de Nouvelair, où il était lui-même actionnaire, et lancé une pique en direction des «Sahéliens» Younes Chettali et Othman Jenayeh, ses éternels «ennemis intimes». Ces deux là, il est vrai, s'en sont mieux sortis que lui de leur proximité antérieure avec le système!
Beaucoup des connaissances de l'ex-président de l'Espérance ont du trembler, à certains moments, de peur que ce dernier ne les cite au détour de quelque phrase. Beaucoup ont dû aussi respirer profondément à la fin de l'entretien, car l'homme s'est gardé de nommer. Il a visiblement voulu éviter de compromettre davantage son avenir en Tunisie: ses ennemis, comme ses amis, de toutes façons, se reconnaîtront.
Pour le reste, que dire de ce scoop d'Attounissia sinon que la promesse n'a finalement pas été tenue. Et c'est tant mieux. Les déballages médiatiques n'auraient pas arrangé l'ambiance générale dans le pays. Car c'est aux juges, et à eux seuls, que M. Chiboub doit s'expliquer.
Alors, M. Chiboub, bienvenue au Tunistan!