Totalement absent depuis plusieurs semaines, «l'homme qui regarde ailleurs» est sorti de son mutisme pour s'attribuer, de manière grotesque, les dividendes d'un hypothétique accord entre la Kasbah et la Place Mohamed Ali.
Par Ridha Kéfi
C'est risible voire pathétique de voir cet ancien dirigeant syndical et ex-opposant à Ben Ali se morfondre dans le consensus mou que lui impose son alliance – le mot soumission aurait été plus juste – avec le parti islamiste Ennahdha, au pouvoir.
L'homme qui parle au téléphone
On n'a pas entendu le président de l'Assemblée nationale constituante (Anc) lors des violences commises par la police contre les manifestants à Siliana, ni après l'attaque du siège de l'Ugtt, le 4 décembre, par des membres des «ligues de protection de la révolution», proches d'Ennahdha.
Et le voilà qu'il sort enfin de son silence pour s'attribuer, très maladroitement, un très probable accord entre l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) et le gouvernement Hamadi Jebali pour l'annulation de la grève générale du jeudi 13 décembre.
Le boulot était, en réalité, déjà fait. Et que M. Ben Jaâfar ait eu des échanges téléphoniques avec Houcine Abassi, secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), et Hamadi Jebali, chef du gouvernement provisoire, n'a pas été aussi décisif qu'il semble vouloir le faire accréditer par les médias. Et pour cause: tous les dirigeants politiques et acteurs de la société civile ont téléphoné, ces derniers jours, aux deux hommes.
Le président de l'Anc s'est adressé, mardi soir, au peuple tunisien dans un message transmis par la première chaîne nationale Watania 1, lors du journal télévisé de 20 heures, pour déclarer avoir ressenti chez Hamadi Jebali et Houcine Abassi, «une ferme volonté de parvenir à une solution adéquate à la situation difficile que traverse le pays». Cela, on le savait déjà. Ce que l'on sait moins, en revanche, et que M. Ben Jaâfar a voulu souligner, c'est qu'il a fait une médiation «pour garantir la réussite des négociations» entre l'Ugtt et le gouvernement en vue de l'annulation de la grève générale annoncée pour le 13 décembre. La belle affaire!
«Le dernier mot revient à la commission administrative de l'Ugtt», a dit, à ce propos, M. Ben Jaâfar, transformé, pour l'occasion, en un présentateur du télé-journal lançant un vrai faux scoop. Et d'ajouter, dans cette langue de bois qu'il affectionne tant et qui ennuie tant les Tunisiens: «J'espère que la décision finale sera dans l'intérêt de la Tunisie».
Des postures inutiles et sans intérêt
Cela s'appelle parler pour ne rien dire. Et prendre des postures inutiles et sans intérêt. Un cocorico qui arrive très tard et confirme la faiblesse de M. Ben Jaâfar et son inconsistance politique.
Quant au discours du président de l'Anc, relatif à «la nécessité d'organiser un dialogue pour définir un calendrier et un programme d'action afin d'achever l'élaboration de la constitution et fixer la date des prochaines élections», n'est-ce pas à ses alliés d'Ennahdha qu'il doit le tenir?
Et quand il assure que les portes de la Constituante resteront «ouvertes à tous les partenaires» pour poursuivre le dialogue initié par l'Ugtt en «impliquant les groupes parlementaires et les partis représentés à l'Anc», on se surprend à sourire. Mais quand la Constituante – et son fantomatique président – ont-ils compté dans le débat politique actuel en Tunisie?
Et où étaient la Constituante – et son fantomatique président –, le 18 octobre dernier, lorsque Ennahdha et le Congrès pour la République (CpR) ont boycotté l'initiative de dialogue national organisée par l'Ugtt?
M. Ben Jaâfar aurait bien pu rester muré dans son mutisme, en profitant des dividendes de son poste, qu'il n'arrive même pas à bien remplir, que de sortir pour dire des inepties dont les Tunisiens se seraient bien passées.