L'ex et éphémère ministre de l'Intérieur (27 janvier-28 mars 2011) sort de son silence pour régler des comptes politiques avec deux adversaires désignés: Béji Caïd Essebsi et Kamel Eltaief. Ambiance...
Par Imed Bahri
Farhat Rajhi a déclaré, samedi soir, dans l'émission ''Saraha Raha'', animée par Samir El Ouafi, sur la chaîne privée Hannibal TV, que l'ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi (mars-novembre 2011) ne voulait pas dissoudre le Rassemblement démocratique progressiste (Rcd, ex-parti au pouvoir) parce que ce parti est l'héritier du Néo-Destour, dans le giron duquel M. Caïd Essebsi avait lui-même grandi».
Le procès du leader de Nida Tounes
«Béji Caïd Essebsi ne voulait pas mettre fin à la pensée destourienne et il s'est rallié à l'homme d'affaires Kamel Eltaief pour essayer de sauver ce qui pouvait en être sauvé», a ajouté le magistrat à la retraite, qui a rallié l'Alliance démocratique, un parti centriste récemment fondé.
M. Rajhi ne semble pas avoir pardonné à M. Caïd Essebsi de l'avoir limogé de son poste. Ce dernier estimait que le magistrat n'avait pas l'étoffe d'un ministre et encore moins celle d'un ministre de l'Intérieur, qui plus est à une phase très difficile de transition politique.
Farhat Rajhi et Rachid-Ammar, au temps où ils faisaient tandem au ministère de l'Intérieur.
C'est sans doute l'une des raisons qui poussent aujourd'hui M. Rajhi à aller très loin dans le procès du leader de Nida Tounes. «Caïd Essebsi fait partie de l'ancien système politique et il a été chargé de faire disparaître les traces de ceux qui étaient impliqués dans la corruption», a-t-il déclaré, ajoutant que M. Caïd Essebsi l'a limogé parce qu'il avait pris la décision de «démettre de leurs fonctions tous les délégués (sous-préfets,Ndlr) sur tout le territoire de la république, car ils étaient tous au service du Rcd, mais cette décision n'a malheureusement pas été exécutée».
Dans son interview à Hannibal TV, Farhat Rajhi a réitéré ses accusations antérieures de l'homme d'affaires Kamel Letaïef, qualifié de «chef du gouvernement de l'ombre» (au lendemain de la révolution du 14 janvier 2011, Ndlr), expliquant avoir consulté plusieurs rapports sécuritaires qui l'attestent, durant la période où il était ministre de l'Intérieur. «Personne n'a jusque là déclaré le contraire», a-t-il ajouté.
Farhat Rajhi lors de sa prestation de serment, un magistrat perdu parmi les flics.
Mensonge, manipulation et gouvernement de l'ombre
L'ancien ministre de l'Intérieur a expliqué également, qu'au lendemain de ses déclarations à ce sujet, en mai 2011, il a été tenté de s'enfuir et d'émigrer clandestinement vers l'Italie, parce que le Conseil supérieur de la magistrature avait été chargé d'étudier les moyens de le priver de l'immunité judiciaire, afin de le faire juger par le tribunal militaire à propos de ses déclarations sur le gouvernement de l'ombre dirigé par Kamel Letaief et sur la possibilité d'un putsch militaire en Tunisie. Selon M. Rajhi, M. Caïd Essebsi était, à l'époque, décidé à le faire emprisonner en le faisant accuser de complot contre la sûreté de l'Etat.
M. Rajhi a, par ailleurs, déclaré dans la même interview que les images d'argent découvert dans le palais l'ex-président Ben Ali, «diffusées quelques jours après la chute de ce dernier, sont un mensonge et une manipulation qui ont trompé tout le monde», ajoutant que ces «mensonges visaient à réaliser des objectifs politiques précis», sans préciser la nature de ces objectifs. Ni pourquoi il a participé lui-même, par son silence, à faire accréditer ces «mensonges».
Farhat Rajhi, Mohamed Ghannouchi et Rachid Ammar, le 27 février 2011.
Sans entrer dans les détails de la polémique opposant M. Rajhi à ses deux adversaires (Béji Caïd Essebsi et Kamel Eltaief), on peut tout de même affirmer que son interview tient plus du règlement de comptes personnels que du témoignage désintéressé – et étayé par des preuves tangibles – sur une phase délicate de la révolution tunisienne.