Après le ''Sheratongate'', le CpR joue-t-il au quitte ou double?L'auteure se propose d'analyser les raisons profondes qui ont justifié la révélation des affaires ''Sheratongate'' et ''Chinagate'' impliquant le ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessaem.

Par Moufida Ben Amor

 De prime abord, le motif invoqué était une simple réaction à l'humiliation infligée à Moncef Marzouki, président de la république provisoire et président d'honneur du Congrès pour la République (CpR), membre de l'alliance gouvernementale, dont le budget (de la présidence de la république) fut rejeté, dans un premier temps, par ses partenaires d'Ennahdha à l'Assemblée nationale constituante (Anc).

Peu après, un argument plus consistant est avancé, à savoir la volonté du CpR d'évincer l'actuel ministre des Affaires étrangères pour ouvrir la voie à Hédi Ben Abbes, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères chargé des affaires de l'Amérique et de l'Asie et porte-parole du CpR.

Mohamed Abbou de plus en plus seul.

D'ailleurs, les tractations au sein de la Troïka butent, depuis plus de deux mois, entre autres, à cause de ce point, et cette affaire semble tomber au bon moment pour débloquer la situation. En réalité, les choses semblent beaucoup plus compliquées et le CpR a sans doute mal calculé son coup de force.

La fin justifie les moyens!

L'on se rappelle qu'en mai dernier, on a assisté au divorce retentissent du couple Mohamed Abbou-Abderraouf Ayadi. Ce dernier a été même sommé de quitter le siège du CpR sis à la rue Ali Darghouth à Tunis. Il s'ensuit une guerre verbale fratricide alimentée par les partisans des deux hommes.

Fin juin, M. Abbou, tout en démissionnant du gouvernement, parvient à gagner l'estime des Tunisiens en accusant le chef du gouvernement de laxisme en matière de lutte contre la corruption. Dispose-t-il déjà d'éléments du dossier du Sheraton? L'enquête le dira peut-être. Peu après, il sera élu de justesse n°1 du CpR. Il n'a donc pas démissionné pour rien! Plus encore, en avait-t-il le choix ?

Abderraouf Ayadi, le trouble-fête... .

Absolument pas, car M. Ayadi (toujours lui) s'est attelé, depuis janvier 2012, à restructurer le parti et à placer ses proches au niveau régional.

Dès lors, le dilemme pour M. Abbou consistait à choisir entre la perte du ministère «provisoire» ou du parti. Or, le gouvernement Jebali a montré ses limites depuis juin 2012 et M. Abbou a su quitter le navire à temps. Il se trouve aujourd'hui dispensé de rendre compte de sa gestion de la fonction publique, nonobstant les multiples promesses de lutter contre les fléaux qui rongent l'administration. La fonction publique ne s'est jamais aussi mal portée et absentéisme, retard, laisser-aller, faible productivité... sont légion. Pas étonnant que le classement de la Tunisie en matière de lutte contre la corruption se détériore si le ministre en charge de la fonction publique n'hésite pas lui-même à abandonner son poste dès lors qu'il est en désaccord avec son supérieur.

S'agissant de la réforme de l'horaire administratif, portée à bras le corps par l'ex-ministre, elle s'avère être un fiasco total et le chef du gouvernement n'écarte pas la possibilité de sa révision (son discours à l'Anc le 21 décembre dernier). L'Ugtt et une dizaine de gouvernorats l'ont dénoncée et revendiquent son abandon. Quelle veine M. Abbou?

Hedi Ben Abbes en embuscade.

En multipliant les accusations de corruption à l'encontre des fonctionnaires, il a tout simplement réussi à faire réagir – plutôt négativement – les agents de l'Etat. D'où les contre-performances de l'administration et l'inexécution d'une bonne partie du budget de l'Etat.

Plutôt double que quitte!

Politiquement parlant, l'entrée annoncée de M. Ayadi et Skander Rekik, qui vient de rejoindre le parti Wafa, au gouvernement (vraisemblablement aux postes de la Justice et Jeunesse et Sport), si elle aura lieu, serait un coup fatal au CpR qui, plus que jamais, serait catalogué comme un parti annexe d'Ennahdha à cause de ses concessions à répétitions. Ce qui provoquerait la chute de sa «popularité». La montée en puissance de Wafa qui, pour des raisons historiques, partage le même fond de commerce que le CpR, risque d'affaiblir davantage ce dernier menacé plus que jamais de marginalisation voire même d'implosion.

Mustapha Ben Jaâfar logne sur le Palais de Carthage.

Avant-hier, M. Abbou n'a pas caché, sur MosaïqueFM, que son parti renonce (sans doute après moult essais infructueux dans l'ombre) au poste stratégique de ministre des Affaires étrangères, vraisemblablement réservé à Samir Dilou, actuel ministre des Droits de l'homme et de la Justice transitionnelle, ou, éventuellement, à Néjib Chebbi, leader du parti républicain, dans l'espoir de l'éloigner de Nida Tounes et de dessiner le nouveau contour du paysage politique d'avant les élections.

Ainsi le CpR semble devenir le maillon faible de la Troïka, il paie chèrement son alliance contre-nature, qui semble conduire vers un divorce inéluctable, tant il est vrai que le rejet semble atteindre son paroxysme.

Le plus intriguant dans cette affaire c'est qu'Ettakatol, autre membre de la Troïka, bien qu'agonisant, semble mieux tirer son épingle du jeu. Ne vient-il pas de placer l'un de ses poulains, Elyes Fakhfakh, contre toute logique autre que partisane, au poste de ministre des Finances? Sans doute que le gourou d'Ennahdha, Rached Gannouchi, sait apprécier et récompenser le mutisme complice de Mustapha Ben Jaâfar, leader d'Ettakatol.

M. Abbou, avec seulement douze voix à l'Anc, n'a décidément pas les moyens d'imposer son diktat et forcer la main à Ennahdha.

Rien ne sera jamais comme avant

Suite à l'affaire du ''Sheratongate'', va-t-on assister à un déballage généralisé du linge sale de notre classe politique? Ou le mariage de raison se poursuivra-t-il avec plus de partenaires, plus d'antagonisme, plus de suspicions et de tiraillements au fur et à mesure que les échéances électorales s'approchent? Mais alors si rien ne va plus avec la Troïka, pourquoi ça irait mieux avec une coalition plus élargie?

Ce qui est certain c'est qu'aucune personne avisée ne pariera un seul centime sur le maintien du nouveau gouvernement pendant 100 jours, tant il est vrai que nos politiques semblent en totale coupure des attentes réelles des citoyens.

Une autre certitude : rien ne sera jamais comme avant après les affaires révélées par la blogeuse Olfa Riahi.