Violence Ghannouchi

Dans un climat de laisser-faire et de laxisme le pas vers la violence est vite franchi et crescendo on passe de l'appel au meurtre au meurtre.

Par Karim Ben Slimane

 

A quelque chose malheur est bon. Le meurtre politique du militant feu Chokri Belaïd (Dieu a son âme) a suscité chez les Tunisies un sentiment nouveau, la terreur. Mais la lumière fut et nous pouvons désormais lever l'ambigüité sur de quoi Ghannouchi est le nom.

Plus forte que l'insécurité plus inquiétante que l'anxiété, la terreur augure des pires malheurs pour les peuples. L'Histoire abonde de leçons et de cas tristes où les trajectoires paisibles des peuples sont ponctuées d'épisodes noirs de guerre civile et de grande violence aveugle.

Une nouvelle page de violence et de terreur

Pourtant, rien dans notre société ne prédispose à la violence. En tout cas les historiens s'accordent à dire que les mœurs de la société tunisienne ont toujours été douces et que les Tunisiens ont de tout temps fait montre de doigté dans leurs interactions avec les autres mêmes les occupants et les colons.

Cette douceur des mœurs certains l'expliquent par l'importance qu'a eu le commerce qui ne prospère qu'en temps de paix et de concordance, d'autres l'expliquent par le climat doux et l'abondance de la nature dans laquelle la survie des individus n'est pas mise à l'épreuve ou encore la platitude des paysages qui facilite la circulation des individus et rend difficile le confinement des groupes et le développement des sous-cultures à la marge.

Mais la Tunisie d'Ennahdha et de Ghannouchi, par les démons de la violence libérés, a ouvert une nouvelle page de violence et de terreur. Non pas que du temps de Ben Ali et de Bourguiba il n'y avait de violence, au contraire. Mais jadis la violence était orchestrée par l'Etat, ce monstre moderne qui concentre, au détriment de l'individu, tant de pouvoirs au nom de la préservation du bien commun et de la construction à marche forcée d'un destin commun. La fin de règne de Ben Ali a été marquée, quant à elle, par un glissement de la violence des mains de l'Etat vers celles d'une oligarchie, le clan des Trabelsi.

Aujourd'hui, ma thèse est que Ghannouchi et Ennahdha ont laissé se développer une forme nouvelle de violence étrangère à la société tunisienne. Cette violence, contrairement à celle de Bourguiba et de Ben Ali, ne s'appuie pas sur les institutions, l'Etat en l'occurrence, ou ne s'explique pas par le pouvoir d'une minorité, à savoir l'oligarchie des Trabelsi, mais il s'agit d'une violence diffuse qui touche la conscience collective. Cette violence nouvelle s'est frayé un chemin dans les cœurs et les esprits de nombre d'entre nous.

Ghannouchi by Herbert French

Portrait de Ghannouchi réalisé par l'artiste français Herbert French pour Kapitalis. 

La violence dans la société

En deux ans, les partisans de Ghannouchi a réussi à instiller à doses homéopathiques la violence dans la société. Il a aussi brillamment réussi à réveiller la violence qu'il a entrepris de semer dans les années quatre-vingt dans les esprits de jeunes étudiants dont bon nombre, trente après, garnissent les rangs de l'Assemblée nationale constituante (Anc) et président aux destinées des ministères et des administrations sous les yeux bienveillants de la vieille garde.

M. Ghannouchi est donc un homme heureux. Il doit sûrement se délecter de voir ses affidées et ses disciples réussir. Ces jeunes braves qui se sont abreuvés, pendant les années de l'exil pour certains dans les geôles de Ben Ali pour d'autres, aux idées du Grand Cheikh sont devenus des faucons aguerris prêts à découdre avec leurs opposants, arrogants et méprisants à souhait et surtout décidés.

Avec une bienveillance paternelle, il doit les contempler avec de grands yeux rieurs s'agiter, couiner, se rouler dans le tapis, hausser la voix, s'époumoner, s'évertuer à mettre en branle son projet.

Mais le magnétisme de Ghannouchi s'étend aussi à la foule de ses militants, cette chair à canons chargée de semer le trouble et la panique dans les rues et dans les rassemblements des opposants.

La recette de Ghannouchi est simple: semer la division parmi les Tunisiens, taire et banaliser les appels à la violence et surtout laisser le tout mijoter à feux doux la sauce finira par prendre, Chokri Belaïd a été le premier servi. Ghannouchi est donc un homme qui a réussi.

Avec l'aide de ses lieutenants et de ses faucons dévoués, ils œuvrent à susciter les rancœurs et à instiller dans les esprits des militants qu'en tant que citoyens ils ont une mission sur terre ils doivent protéger l'islam de ses ennemis. Devant la noblesse de la mission, de gardiens du temple de l'islam, ces militants enivrés par les idées du Grand Cheikh ne lésinent pas sur les moyens.

Le militant islamiste engagé est un musulman intégral au sens de Yadh Ben Achour. Il est prêt à sacrifier la vie sur terre pour une rétribution dans l'au-delà. La vie en société ne l'intéresse que dans la mesure où elle lui permet de s'assurer des récompenses divines. Ainsi est-il en apesanteur par rapport au citoyen qui lui en revanche est enraciné dans une société dont il partage avec d'autres la charge de son organisation et de son fonctionnement qui garantit le vivre ensemble. Aussi le militant islamiste engagé et soldat de Ghannouchi souffre-t-il dans son amour-propre la décadence de l'islam et des musulmans. Et c'est autour de cette blessure qui ravage son esprit et son cœur que se construit la conscience illusoire et fausse de son existence.

Un climat de laisser-faire et de laxisme

Le décor est ensuite meublé par des ennemis fabriqués et désignés qui deviennent des cibles indiquées du combat sur terre pour l'au-delà. Ces ennemis de l'islam, quand ils sont pointés du doigt, épargnent au musulman toute démarche critique de remise en cause qui puisse mettre au jour sa propre responsabilité dans la situation décadente qui est la sienne. Le combat et la lutte sont donc orientés contre l'autre, l'ennemi désigné.

Dans un climat de laisser-faire et de laxisme le pas vers la violence est vite franchi et crescendo on passe de l'appel au meurtre au meurtre. Quand du haut des tribunes des mosquées des imams excommunient et tempêtent contre les opposants des islamistes la violence devient banale et normale. Quand des députés du peuple louent les assassins présumés de feu Lotfi Nagdh, la violence est dédramatisée et excusée. Quand Ennahdha recrute ses militants parmi les bandits et les malfrats, la violence est justifiée et encensée.

Ghannouchi a donc entrepris de semer des graines d'ortie et voudrait les laisser pousser en les abandonnant à leur sort. Dans ces conditions les jeunes pousses vont vite devenir des arbustes au tronc fort et solide et aux racines longues et bien enfouies sous terre.

Voilà ce dont Ghannouchi est le nom.