Basma Khalfaoui Mère Courage

Au plus profond du gouffre de sa peine, elle a trouvé la présence d'esprit, le stoïcisme et la résolution pour pousser vers le ciel le «V» de la victoire.

Par Moncef Dhambri*

 L'Histoire nous offre de temps à autre l'occasion de vérifier la véracité de la sagesse populaire. L'histoire de notre pays qui, petit par la taille et grand par son intelligence, vient donner la preuve supplémentaire que, même lorsque l'espoir le plus minime n'est plus permis, les Tunisiens trouvent et trouveront toujours les ressources et la détermination nécessaires pour échapper à la fatalité, s'arracher au défaitisme, pour réparer les plus irréparables erreurs et construire le plus bel avenir.

Tout cela – notre génie tunisien, notre volonté de fer et notre courage – a été exprimé par une seule image, par le simple geste de la personne la plus tunisienne d'entre nous tous Basma Khalfaoui-Belaïd: au plus profond du gouffre de sa peine, elle a trouvé la présence d'esprit, le stoïcisme et la résolution pour pousser vers le ciel le «V» de la victoire.

Des raisons d'être fier d'être tunisien

Les historiens, les sociologues, les psychologues et autres experts retiendront de cet héroïsme ce qu'ils voudront. Pour ma part, commentateur de l'instant présent, je ne souhaite pas, et ne peux pas, prendre du recul pour déclarer ici et maintenant que cette grande dame m'a donné toutes les raisons du monde d'être fier d'être tunisien. Mon épouse et ma fille m'ont toujours procuré cette fierté, mais cette dernière s'est limitée au cercle restreint de notre famille et de nos amis. Mme Belaïd – je me permets de rappeler à nos lecteurs que son prénom signifie «sourire» – a donc administré la preuve à tous les Tunisiens, y compris les Ghannouchettes d'Ennahdha, que les Tunisiennes sont grandes, très grandes, fortes, très fortes, jusqu'à intimider les plus machistes des Nahdhaouis et à faire pleurer les plus féministes d'entre les Tunisiens.

basma66

Basma Khalfaoui lance le signe de la victoire aux funérailles de son mari.

Oui, vous avez compris, chers lecteurs: Basma Khalfaoui a fait pleurer dans les foyers tunisiens, mais il s'agissait de ces larmes de l'espoir là où Ennahdha et ses associés de la «troïka» qui nous gouvernent ont semé la désillusion, de ces larmes du ressaisissement là où la confiscation de la Révolution du 14 janvier a inspiré sinistrose et pessimisme, de ces larmes de joie là où les Nahdhaouis et leurs «enfants (salafistes) qui ne sont pas des martiens» ont planté le décor lugubre de leur califat, fait peur à la modernité et à la liberté de penser, et balayer nos rêves du mieux-vivre, du vivre ensemble stable, du développement et du progrès.

Le carton rouge du renvoi de Ghannouchi et les siens

Bref, vous avez compris, chers lecteurs: Basma Khalfaoui, que personne ne connaissait avant l'assassinat de son époux Chokri Belaïd, est venue nous dire que la Tunisie peut être silencieuse ou qu'elle peut s'exprimer à demi-mots, mais que, lorsqu'elle s'éveille, elle est capable d'emporter la dictature de Ben Ali, de balayer les Trabelsi, de déboulonner la machine Rcdiste et... de lancer à la face d'un Rached Ghannouchi (les civilisés du «zéro-virgule-quelque-chose» ne qualifieront jamais l'inqualifiable) le carton rouge du renvoi.

Retenons cette affirmation de Basma Khalfaoui: «Je poursuivrai (le combat), pour mes filles, pour moi-même, pour Chokri Belaïd et pour la Tunisie». Elle a compris que le travail de son époux ne pouvait s'arrêter à mi-chemin, que la réaction face à l'horrible meurtre de son mari ne pouvait se limiter à une dénonciation, ni même à la poursuite des exécuteurs de l'odieuse besogne ou la recherche des commanditaires du crime. Pour Basma Khalfaoui, la mort de Chokri Belaïd vaut plus par la magnifique mobilisation qu'elle a générée parmi ceux qui étaient sûrs que les choses allaient mal en Tunisie et n'avaient jamais trouvé l'issue, ni les mots justes pour désigner le malaise, ou l'impasse dans laquelle s'est trouvée le mouvement qui a mis hors d'état de nuire Zine El Abidine Ben Ali.

Désormais, les ennemis de la Révolution portent un nom, celui de l'incompétence, de l'arrogance brute et brutale, du bricolage politicien maladroit, de la «boulimie» sous-développée, de la bigoterie honteuse...

Désormais aussi, la solution à la crise que le pays connait depuis le 23 octobre 2011 est évidente: mettre un terme au «régime» et à la «violence» nahdhaouis – tels ont été les slogans répercutés à travers toute la Tunisie par les foules innombrables qui ont accompagné Chokri Belaïd jusqu'à sa dernière demeure: «Achaâb yourid isqat ennidham» (Le peuple veut la chute du régime) et «Ghannouchi ya saffah» (Ghannouchi assassin)!

basma77

Elle aura le temps de pleurer .

Une Dame Courage est digne, modeste, amoureuse de la Tunisie

Des ordres clairs, précis et sans appel que ceux qui ont présidé à la destinée de notre révolution – tous, pêle-mêle – doivent méditer et exécuter sans plus attendre.

Basma Khalfaoui, je l'imagine (je me permets de l'imaginer, devrais-je dire), est cette Tunisienne qui n'a rien d'une Ghannouchette qui cautionne la thèse de la «complémentarité femme-homme», qui n'a rien d'une docile et disciplinée «moutahajiba» (une hijabée) qui défendrait sans rougir la ré-institution de la polygamie dans notre pays et que l'introduction de la chariâ dans notre nouvelle constitution ne dérangerait pas. Bref, notre Dame Courage est digne, modeste, amoureuse de la Tunisie et convaincue que seule l'union des forces progressistes et modernistes sera capable de remettre notre Tunisie sur les rails et permettre au rêve des déçus de la Révolution de se réaliser.

C'est bien le rêve de Chokri Belaïd: ce jardin tunisien où roses et œillets peuvent pousser et fleurir, et où nous autres Tunisiens pourrons retrouver le sourire.

Merci Besma. Vous nous redonnez le sourire.

Désormais, j'ai décidé de changer la chute de mes commentaires. Je dirai dorénavant: j'ai toutes les raisons du monde de m'opposer à Ennahdha. Elle a fait du mal à Basma Khalfaoui. Je ne pardonnerai jamais aux disciples de Rached Ghannouchi cette tragédie dans laquelle ils sont impliqués de manière directe ou indirecte, quoiqu'ils puissent dire ou faire: leur gouvernement de technocrates, même s'il voit le jour, ne redonnera jamais la vie à Chokri Belaïd, «le défenseur des gueux», et n'effacera jamais la sinistre mémoire de ce crime.

*Je n'emprunte à Bertolt Brecht que le titre de sa pièce ''Mère Courage et ses enfants'' (1938). Pour le reste, il n'y a aucune ressemblance entre Basma Khalfaoui, la plus tunisienne des Tunisiens, et Anna Fierling, personnage principal de l'œuvre du dramaturge allemand.