Tunisie menaces d'explosions

Ceux qui pensent que l'opposition démocratique a les moyens de faire tomber le gouvernement Ennahdha sans encombre sont des doux rêveurs qui se trompent de stratégie. Un soutien immédiat et vigilant à l'initiative de Hamadi Jebali est la moins pire des solutions

Par Salah Oueslati*

Ceux qui appellent à la dissolution de l'Assemblée nationale constituante (Anc), ceux qui appellent à en découdre, ceux qui pensent que les centaines de milliers de personnes qui ont manifesté suite à l'assassinat de Chokri Belaïd sont un signe que l'opposition démocratique a les moyens de faire tomber le gouvernement Ennahdha sans encombre sont des doux rêveurs qui se trompent de stratégie.

Un scénario catastrophe n'est pas exclu

On ne peut pas faire comme si les 20% ou plus (ou moins) qui soutiennent Ennahdha n'existent pas. On ne peut pas faire comme si le ministère de l'Intérieur n'est pas d'ores et déjà noyauté par les islamistes; comme si les cachettes d'armes ne sont pas disséminées à travers tout le territoire tunisien; comme si les milices nahdhaouis (les fameuses Ligues de protection de la révolution, LPR) ne sont pas les mieux structurés pour mener une campagne de terreur contre leurs opposants; comme si les jihadistes qui sont revenus de la Syrie, du Mali, de la Libye et d'ailleurs ne sont pas les mieux entraînés et les plus aguerris pour passer à l'acte à la moindre étincelle; comme si notre armée n'est pas mal équipée et mal préparée pour des opérations d'envergure dans tout le territoire.

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 Des Tunisiens parmi le groupe de terroristes qui avaient mené l’attaque et la prise d’otages à Aïn Aménas en Algérie: les terroristes sont dans notre maison.

Il ne faut pas oublier que l'armée algérienne plus aguerrie et largement mieux équipée a mis, dans un contexte nettement plus favorable (les frontières libyennes étaient plus sûres), plus de 12 ans pour venir à bout des groupes terroristes au prix de plus de 250.000 morts.

Il ne faut pas oublier qu'une grande partie du territoire libyen est entre les mains de groupes jihadistes bien armés et bien entraînés et qu'ils n'hésiteront pas, le moment venu, à traverser les frontières pour venir en renfort aux côtés de ceux qui partagent leur cause.

Il ne faut pas oublier qu'en dépit de sa petite taille, la Tunisie constitue la pièce maîtresse dans la stratégie du Qatar pour empêcher toute mise en place d'une démocratie dans le monde arabe, que ce pays est capable d'acheminer des jihadistes et des mercenaires des quatre coins du monde arabe et musulman, voire d'Europe et d'ailleurs, pour atteindre son objectif: mettre en place un régime islamiste qui lui est inféodé.

Le vide politique et le chaos ne peuvent profiter qu'aux islamistes les plus radicaux, non seulement parce qu'ils sont les mieux préparés à ce scénario, mais aussi et surtout parce que les leaders de ces derniers ont tout fait depuis le 14 Janvier 2011 pour le réaliser.

Le vide politique entrainera le chaos et le chaos provoquera à son tour une vague d'assassinats, d'attentats et de terreur qui mettra le pays à feu et à sang et le fera tomber inexorablement sous le joug d'une théocratie nahdhaouie ou sous le règne de pseudo-émirs auto-proclamés sans foi ni loi.

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L'initiative de Hamadi Jebali de former un gouvernement de technocrates serait-elle la dernière planche de salut?

Un soutien vigilant à l'initiative de Hamadi Jebali

C'est un scénario qui semble très pessimiste, voire sombre, mais pour l'éviter tous les démocrates tunisiens ont intérêt à s'y préparer.

Dans l'immédiat un soutien vigilant à l'initiative de Hamadi Jebali semble la moins pire des solutions pour éviter une telle catastrophe à la Tunisie. Si le chef provisoire du gouvernement est sincère dans sa démarche, on ne tardera pas à le savoir dans les prochains jours. Pourquoi alors lui faire un procès d'intention et se précipiter à condamner sa proposition sans savoir sur quoi elle aboutira?

Cette initiative a le mérite non seulement de diviser ou de faire imploser Ennahdha, mais aussi de faire tomber les masques et montrer au grand jour ceux qui sont prêts à jouer le jeu de la démocratie et de l'alternance et ceux qui cherchent à gagner du temps pour mettre en place une dictature théocratique.

* Universitaire.