Les dirigeants nahdhaouis, qui continuent de nous jeter à la face leurs 41% de sièges constitutionnels, ne réalisent pas que le temps a fait son œuvre et que c'est le terminus. Comment leur signifier qu'il faudrait qu'ils descendent?
Par Moncef Dhambri
Une polémique de petite importance a été montée de toutes pièces, la semaine dernière, au sujet du traitement partial réservé aux enterrements du dirigeant politique Chokri Belaïd et du policier Lotfi Ezzar et leur couverture médiatique.
De fait, le contraste entre les deux situations était flagrant. Le prix – celui de la vie du militant des droits de l'Homme et celle de l'agent de sécurité – est, certes, le même: il s'agit bien de deux citoyens tunisiens qui ont fait la rencontre de La Faucheuse, alors qu'ils ne s'y attendaient pas – quoique! Tous deux ont quitté femme, enfants, famille et collègues. Tous deux ont perdu carrière et rêves. Tous deux ont connu une fin brutale, sauvage.
Un meurtre est un meurtre
Les obsèques du policier Lotfi Ezzar tué dans les affrontements survenus le lendemain de l'assassinat de Chokri Belaid.
Seulement, les funérailles de Chokri Belaïd ont drainé des foules innombrables, alors que Lotfi Ezzar aurait été enterré quasiment dans l'anonymat. Ce serait injuste, car la vie d'un Tunisien vaut indéniablement celles de tous ses compatriotes. D'autant plus que, dans le cas des deux disparus, ils étaient bien dans l'exercice de leur fonction: Lotfi Ezzar s'était interposé pour défendre un bien privé, et Chokri Belaïd, le défenseur des gueux, s'engouffrait dans sa voiture pour un rendez-vous de travail. L'un et l'autre ont rencontré des mains assassines: Lotfi Ezzar est tombé mort, suite à la réaction violente d'un cambrioleur pris en flagrant délit; des balles tirées à bout portant ont mis fin au parcours glorieux de Chokri Belaïd.
Un meurtre est un meurtre, sans nul doute. Une mort tunisienne est égale à une autre. Cependant, les fins qu'ont connues Lotfi Ezzar et Chokri Belaïd comportent certaines différences.
L'assassinat de Lotfi Ezzar était «accidentel» (l'enquête policière le déterminera mieux que ce que nous pouvons en dire, pour l'instant): nous supposons que l'assassin, affolé, a agrippé ce qu'il a trouvé pour défendre sa fuite... Dans le cas de Chokri Belaïd, le meurtre était d'une toute autre mesure: il s'agissait d'un plan bien préparé et savamment exécuté. Cette minutie indique non seulement la préméditation mais également des ramifications inquiétantes.
A bien y penser, à réfléchir plus longuement aux détails, l'assassinat de Chokri Belaïd jette l'effroi le plus profond: l'on se rend compte qu'il est désormais facile en Tunisie de se procurer des armes à feu, d'enjamber une Vespa, d'exécuter un homme et de disparaître dans la nature. La chose est grave, car, en Tunisie de la Révolution, les hommes politiques qui «dérangent» autant que Chokri Belaïd se comptent par centaines et bien plus; des hommes et des femmes qui ne mâchent leurs mots et qui tirent sur tout ce qui ne leur plait pas, il y en a des centaines de milliers. Bref, nous y sommes: ce que l'on avait toujours craint de ces oppositions qui nous divisent depuis le 23 octobre 2011, à savoir, arrogance/frustration, promesses/attentes déçues, incompétence/grandes œuvres, islamisme/modernité, obscurantisme/progressisme, sexisme/féminisme, toutes ces fractures ont produit le pire des scénarios: la confrontation politique, d'abord violence verbale puis devenue physique, a ôté la vie, le 18 octobre dernier à Tataouine, à Lotfi Nagdh.
Cette barbarie a donc récidivé, tué Chokri Belaïd et menace à présent de faire tâche d'huile. Elle se risque de se répandre comme un feu de brousse, si l'on en croit les révélations faites par nos confrères Zied El-Hani et Soufiène Ben Farhat, entre autres. Il y a donc un danger sérieux dans la demeure tunisienne.
Petites excuses, petites plaintes
Ennahdha veut libérer les membres de la Ligue de la protection de la révolution qui ont causé la mort de Lotfi Nagdh.
L'on est en droit de s'inquiéter, d'autant plus que notre ministère de l'Intérieur confié au soin de «la sainte personne» («nefs moumna») d'Ali Lârayedh n'a jamais brillé par ses performances (!)... Souvenons-nous de son célèbre «devant-derrière» de l'attaque de l'ambassade américaine à Tunis: la triste journée du 14 septembre 2012 en disaient déjà long, très long, sur la «complicité» nahdhaouie et les répercussions des agissements des disciples de Rached Ghannouchi.
A l'époque, le discours nahdhaoui, à la suite de la mort de Lotfi Nagdh et de l'attaque de la représentation diplomatique des Etats-Unis, se gargarisait de petites excuses, de plaintes et de complaintes, mais également d'accusations à l'encontre de l'opposition qui aurait tenté de récupérer et de manipuler ces incidents. Il n'y aura donc jamais, de la part d'Ennahdha, d'aveu d'échec, d'aveu de faiblesse... Leur «légitimité électorale», comprenions-nous, les aurait placés au-dessus de tout soupçon, de toute erreur.
L'assassinat de Chokri Belaïd serait donc venu nous rappeler que, s'il est vrai qu'une partie importante de l'électorat tunisien a voté pour «des hommes et des femmes qui craignent Dieu», les Nahdhaouis restent des «humains» et qu'ils peuvent même devenir «inhumains» lorsqu'ils ne veulent pas reconnaître leurs nombreux faux pas, leurs innombrables insuccès, etc. D'où l'importante couverture médiatique des funérailles du défenseur des gueux...
Lotfi Nagdh, Lotfi Ezzar et Chokri Belaïd nous ont quittés. Ennahdha et Rached Ghannouchi sont toujours parmi nous. Souhaitons leur longue vie, s'ils apprennent à se faire plus modestes et plus petits.
J'ai toutes les raisons du monde de m'opposer à Ennahdha: ses Zitoun, Bouchleka, Jaziri et autres dirigeants nahdhaouis continuent de nous jeter à la face leurs 41% de sièges constitutionnels, ne réalisent pas que le temps a fait son œuvre et que c'est le terminus. Comment leur signifier qu'il faudrait qu'ils descendent?