Les ficelles du marionnettiste Ghannouchi sont si visibles dans le déroulement de la tragi-comédie de l'initiative de Hamadi Jebali qu'elles ne berneraient que les myopes ou les non-voyants d'entre nous.
Par Moncef Dhambri*
Le décor est planté pour la nouvelle tragi-comédie nahdhaouie, ''Hamadi et nul autre à sa place'', mise en scène par le prolifique Rached Ghannouchi, le réalisateur mille fois primé au «Festival du Fou Rire» (c'est une invention!): une intrigue série B qui fera pleurer et rire dans les chaumières, des dialogues confectionnés à la va-vite, des acteurs usés jusqu'à la corde, une production Monplaisirwood à très petit budget et surtout un public qui goberait n'importe quelle couleuvre, pourvu qu'on en finisse avec le feuilleton de la «transition démocratique» qui n'a que trop duré.
Sauver la prochaine mise électorale
Les ficelles du marionnettiste Ghannouchi sont si visibles qu'elles ne berneraient que les myopes ou les non-voyants d'entre nous.
Oui, notre septuagénaire gourou et tout l'appareil nahdhaoui sont en train de comploter pour servir leurs intérêts, préparer le passage en douce à l'étape suivante de leur conquête du pouvoir, celle qui consiste à atteindre sans encombre les prochaines stations électorales de 2014 (législatives et présidentielles): un taux 30 ou 35% des suffrages devrait, en principe, donner ample satisfaction à la direction nahdhaouie. Ce serait bien plus que sauver les meubles! Pareil score serait une nette confirmation de la popularité d'Ennahdha, de «la légitimité des urnes», comme ils disent.
Deux ans, ou presque, de pouvoir ont sérieusement entamé la crédibilité de la Troïka, et il s'agit à présent pour Ennahdha de limiter les dégâts et de sauver la prochaine mise électorale.
Mohsen Marzouk insiste sur le fait qu'il y a aucun différend au sein du mouvement d'Ennahdha et qu'il faut jamais "insulter l'intelligence des Tunisiens".
Les yeux rivés sur cet horizon des législatives de 2014 (?), Rached Ghannouchi a donc monté cette dernière mascarade de toutes pièces. Dans le secret de sa tanière de Mont-Plaisir, le Grand Manitou nahdhaoui veut faire croire qu'il y a rupture entre une aile d'Ennahdha rigoriste, qu'il mène, qui ne souhaite pas «trahir la confiance populaire qui a accordé à Ennahdha la majorité à la Constituante» et les réfractaires qui ont emboîté le pas à Hamadi Jebali.
Il faut imaginer la force qu'aurait ce dilemme ghannouchien auquel rien ne manque. Et préparer des kleenex. Il en faudra des tonnes face au terrible choix que le peuple simple aura à faire.
«Notre œuvre est presqu'achevée»
Et le point culminant de ce drame comique sera cet échange entre Cheikh Rached et son fils Hamadi, scène 5, acte 3:
Rached: Fils, où allez-vous ainsi? Avez-vous vraiment décidé de quitter définitivement le foyer familial. Nous avons tout construit ensemble. Restez, fils, restez! Ne commettez pas l'irréparable. Restez et nous préparons pour la Tunisie le plus bel avenir: nous gommerons les mécréants, nous musellerons les médias et la Justice, nous renverrons la femme à sa place, nous ré-instituerons, d'ailleurs, la polygamie, nous laminerons l'opposition. Nous avons déjà pratiquement annihilé le Congrès pour la République (CpR) et Ettakatol. Notre œuvre est presqu'achevée. Restez, je vous en conjure. Restez, fils. Hamadi, avez-vous du cœur?
Hamadi: Non, père, dans cette affaire, j'ai préféré user de raison. Du cœur, je n'en ai point, lorsqu'il s'agit de sauver les intérêts suprêmes d'Ennahdha. Père, vous me comprenez mal: le peuple est ensorcelé et il croit à mon illusion. Observez, père, ce que j'ai pu réaliser en un temps aussi court. Une semaine a suffi pour faire de moi un héros: l'opposition entière est à mes genoux, les ambassadeurs du monde frappent à ma porte, le peuple tout entier est suspendu à mes déclarations, les salles de rédaction n'ont de textes que pour moi... Père, laissez-moi faire. Père, je suis sur le point de berner le monde entier. C'est cela la nouvelle magie nahdhaouie. Laissez-moi faire. Je vous promets une Constitution qui sera à vos souhaits et sur mesure, sept ou huit ou neuf mois de répit, et... la consécration aux prochaines élections. Faites-moi confiance, ils avaleront tous ma potion. Et, pour nous, les choses seront comme avant. Il s'agit d'une courte séparation. Un fils comme moi ne quitte jamais un père comme vous...
(Fin du 3e acte).
Eclat de rire général
Rached Ghannouchi prétend pouvoir amener Hamadi Jebali à rejoindre la volonté du reste du parti Ennahdha qui veut former un nouveau gouvernement de coalition.
Je résume le reste de cette tragi-comédie, c'est-à-dire les actes 4 et 5: Hamadi Jebali fera cavalier seul. Seul, c'est une manière de parler, car il aura toute l'opposition derrière lui. Et le passage à gué se fera sans aucune perte pour Ennahdha. Le parti islamiste redorera le blason de «l'islamo-démocratie», raflera la mise législative, célèbrera sa victoire lors d'une cérémonie à laquelle assistera toute la famille nahdhaouie réunie; et il y aurait parmi les convives les héros des Ligues de la protection de la révolution (LPR) et les wahhabites, les jihadistes et autres arracheurs du drapeau et saccageurs de galerie d'art.
Et voici la scène finale, dans laquelle le septuagénaire requinqué déclamera:
Rached: Notre tour de magie a marché: de bout en bout, on les a tous trompés et ridiculisés. Devant nous, nous disposons de cinq autres années. Et nous aurons encore plusieurs mandats quinquennaux. Un temps ample, une vie entière où l'opposition ne servira que pour la figuration. Un temps ample, une éternité où nous édifierons tranquillement notre califat. Que la vie est belle!... Pour nous, cela va sans dire, pour le machisme, l'islamisme... Ha, ha, haaaa (éclat de rire général)...
(Fin)
J'ai toutes les raisons du monde de m'opposer à Ennahdha: leur islam n'est pas le mien, leur incompétence n'est pas tunisienne, leur entêtement n'est pas de chez nous, la révolution ne se reconnaît pas en eux, leur exil occidental se révèle être une page blanche... Leur bigoterie m'horripile.
* Universitaire et journaliste.