Après un long silence, Oussama Romdhani, l'ancien ministre de la Communication de Ben Ali prend la parole, pour stigmatiser la violence politique et appeler à la raison. Cela mérite d'être lu et commenté.
Par Moncef Dhambri
Samedi, le site web d'Al-Arabiya nous a gratifiés d'un commentaire d'Oussama Romdhani qui, entre autres fonctions sous l'ancien régime, a servi pendant près de quatorze années comme directeur général de l'Agence tunisienne de communication extérieure (Atce, la tristement célèbre machine de propagande de Ben Ali) et ministre de la Communication pendant deux ans, avant de quitter sur la pointe des pieds le navire «Ere nouvelle», suite aux évènements de Sidi Bouzid de décembre 2010.
Platitudes et mauvaises références
M. Romdhani, désormais chroniqueur pour le ''Gulf News'', journal émirati de langue anglaise, donne l'impression de «vouloir rattraper l'Histoire», et non le contraire. Il est présenté dans les colonnes d'Al-Arabiya comme analyste international qui aurait son mot à dire sur le Printemps arabe et, notamment, sur ce qui se passe en Tunisie. Son papier de samedi mérite lecture à plus d'un titre.
Notre Goebbels (toutes proportions gardées), qui suit l'actualité de très près, commente les tensions que traverse notre pays ces derniers jours, suite à l'assassinat de Chokri Belaïd. Il tire les enseignements de ce meurtre (d'où le titre de l'article: ''The 'quake': Learning from the assassination of Chokri Belaid'') qu'il qualifie de «séisme». Il n'hésite pas, non plus, de prodiguer des conseils aux dirigeants actuels et au peuple tunisien.
M. Romdhani ne s'embarrasse pas de platitudes lorsqu'il évoque la sagesse populaire tunisienne selon laquelle, nous dit-il, «l'irréversible sera toujours évité». Il fait l'éloge des «pragmatisme et modération Tunisiens qui puisent leur force dans une tradition du rejet de la violence ancienne de plusieurs siècles», ajoutant également qu'à travers l'histoire de la Tunisie «les assassinats politiques ont toujours représenté une ligne rouge à ne jamais franchir».
De quelle histoire de la Tunisie Oussama Romdhani nous parle-t-il? S'il fait référence à celle qu'il a bien connue, pour y avoir été impliqué jusqu'au cou, il est donc très oublieux. Corrigeons son amnésie en lui rappelant que, sous Ben Ali, les violences politiques en tous genres ont été perpétrées. Elles ne se comptent plus: les morts non élucidées, les disparitions qui ne seront jamais expliquées, les exils forcés, les emprisonnements à la pelle, la justice expéditive, la répression sous toutes les formes possibles et imaginables, les médias soumis à l'impératif de la «Tunisie-carte postale», etc.
Pour ce dernier registre de la tyrannie du régime Ben Ali, M. Romdhani doit en savoir beaucoup. Il a sans doute de choses à nous raconter: il pourrait, d'ailleurs, rédiger des volumes entiers sur cette page sombre, trouverait aisément maisons de publication moyen-orientales et éclairerait ainsi la lanterne des historiens.
Plutôt Hitler que Gandhi
M. Romhani prétend connaître les Tunisiens et ce qu'ils ressentent aujourd'hui en cette étape difficile. Il écrit: «les Tunisiens souhaitent ardemment entendre la voix de la raison qui leur permettra de trouver la bonne voie, celle qui les aidera à surmonter les défis actuels et construire leur unité nationale».
L'ancien ministre de la Communication – nous abrégeons le titre que l'ancien régime lui a attribué – ne se gène pas et propose des solutions «pour éloigner le pays du bord du précipice»: il s'agit, écrit-il, de «laisser de côté les calculs politiciens (...) et de panser les plaies de l'âme blessée de la Tunisie», cédant à un certain élan poétique qui ne trompe personne.
M. Romdhani ne garde pas ses bons sentiments pour lui; il se plaindrait et souffrirait même de voir que «le pays ne supporte plus une instabilité qui n'a que trop duré et une incertitude qui mène vers l'inconnu».
Décidément, nous connaissions mal le Romdhani de l'«Ere nouvelle». L'homme qui était, à la veille de la Révolution, presque premier-ministrable boucle sa petite analyse par un vif «non à la violence!» et une citation de Mahatma Gandhi (appliquer la loi de l'«œil pour œil et tout le monde sera aveugle»).
M. Romdhani se trompe de source d'inspiration: pour ce qui le concerne, il devrait plutôt faire référence à Hitler, Göring et Himmler et laisser le discours de la non-violence à quelqu'un d'autre.
Il pourrait choisir également de se taire, pour l'instant. Et ce serait mille fois mieux!
D'ailleurs, en temps voulu, la Justice se chargera de lui tirer les vers du nez.