Ennahdha fait les yeux doux aux partis de l'opposition en vue de les embarquer dans une nouvelle coalition gouvernementale. L'aventure serait aux moindres frais pour le parti islamiste mais ses conséquences incalculables pour ses hypothétiques alliés.
Par Imed Bahri
Pourquoi Ennahdha cherche-t-il à élargir la prochaine coalition gouvernementale et insiste pour y impliquer le Parti républicain (Al-Jomhouri) et la Voie démocratique et sociale (Al-Massar) ?
La question mérite d'être méditée, d'autant que les exigences de ces deux partis de centre-gauche sont presque inacceptables par Ennahdha, notamment la neutralité des tous les ministères de souveraineté (Intérieur, Justice et Affaires étrangères), et même celui des Affaires religieuses, sans parler de l'adoption d'une feuille de route précise pour les prochaines échéances politiques (achèvement de la rédaction de la constitution et dates pour les élections) ou la révision des innombrables nominations de Nahdhaouis à tous les niveaux de l'administration publique et des charges politiques.
On peut avancer ici quelques pistes pour comprendre la stratégie des islamistes tunisiens pour absorber les dernières ondes de choc de l'assassinat, le 6 février, de Chokri Belaïd et reprendre la main, sans lâcher la moindre parcelle de pouvoir à ses alliés et, et à plus forte raison, à ses adversaires.
Revenir à la case... Ennahdha
Non content d'avoir enterré le projet de gouvernement de compétences indépendantes des partis, proposé par le chef du gouvernement provisoire Hamadi Jebali, le parti islamiste continue de manœuvrer pour tout faire revenir à la case... Ennahdha.
Dans ce cadre, le parti de Rached Ghannouchi voudrait pouvoir élargir la «troïka», qui a commencé à battre de l'aile, en intégrant de nouveaux partis à la nouvelle coalition gouvernementale en gestation. Le parti Wafa ou l'Alliance démocratique, ou tout autre petit parti disposé à jouer les utilités, ne suffit pas à donner du crédit ou du poids à cette coalition. D'où l'intérêt d'Ennahdha pour Al-Jomhouri et Al-Massar.
Ces deux partis de la gauche «historique», qui ont du mal à se replacer sur l'échiquier politique depuis leur défaite lors des élections du 23 octobre 2011, seraient-ils disposés à se remettre sur orbite à la faveur d'une entrée dans le prochain gouvernement? Et si certains de leurs dirigeants pouvaient être appâtés par quelques postes de prestige, les Affaires étrangères, par exemple, ou la Justice? Ce serait, sans doute, le meilleur moyen de les faire exploser en suscitant en leur sein de grandes divergences et d'en finir ainsi définitivement avec ce qui reste de leur crédibilité aux yeux des Tunisiens.
Cette méthode du «baiser de la mort» n'a-t-elle pas déjà servi à détruire le Congrès pour la république (CpR) et Ettakatol?
Diviser pour... torpiller
Sur un autre plan, on peut estimer aussi qu'Ennahdha ne cherche pas à élargir la coalition gouvernementale à d'autres partis, comme Al-Jomhouri et Al-Massar, pour créer le consensus nécessaire à la réussite de la seconde phase de transition, car le parti islamiste s'en fout comme de la dernière chaussette de son Guide Suprême.
Le but, inavoué, de cette manœuvre c'est de couper ces deux partis de leurs alliés naturels et torpiller ainsi l'Union pour la Tunisie, l'alliance politique et électorale constituée récemment par Nida Tounes, Al-Jomhouri, Al-Massar et deux autres partis de gauche, alliance qui pourrait remporter les prochaines élections, selon plusieurs sondages.
Last but not least, Ennahdha ne voudrait pas devoir rendre compte tout seul, lors des prochaines élections, des échecs cuisants du gouvernement qu'il a constitué à l'issue des précédentes élections. Partager la responsabilité de cet échec avec le plus grand nombre de partis politiques possible mettra tous les protagonistes sur la même ligne de départ. Et le bilan gouvernemental – plutôt maigre – ne sera pas au cœur de la prochaine campagne électorale, mais Dieu, l'identité arabo-musulmane, et le complot occidental contre l'islam et les musulmans : que du velours pour Ennahdha!
Al-Massar et Al-Jomhouri tomberont-ils dans le piège, par opportunisme ou par patriotisme (pour contribuer à sortir le pays de sa crise actuelle)? Attendons-voir...