En appliquant cette formule du «on ne change pas une équipe qui perd», la coalition au pouvoir en Tunisie persiste, signe et fait avaler la pilule du «j'y suis, j'y reste» jusqu'au prochain scrutin...
Par Moncef Dhambri
Analystes, rangez vos mots et vos théories. Politologues, taisez-vous, vos spéculations ne sont pas recevables. Observateurs, circulez, il n'y a rien à voir, vos conjectures sont nulles et non avenues. Peuple tunisien, baisse la tête et baisse les bras, tu n'as rien à dire... Tu as dit ton mot, définitivement, le 23 octobre 2011.
Les «zéro-virgule-quelque-chose» peuvent protester, mais la deuxième caravane nahdhaouie, imperturbable, passe sans se retourner: les «aboiements» protestataires d'aujourd'hui et les égosillements de demain n'y changeront rien. Ennahdha, Rached Ghannouchi et la «légitimité électorale» en ont décidé autrement pour l'intervalle qui nous sépare des prochaines élections.
Un gouvernement Ennahdha qui a tout raté cède le témoin...
La Troïka n'a rien appris
C'est en ces termes bruts que se résume la situation que nous vivons actuellement, sept ou huit mois depuis que l'idée de changer l'équipe gouvernementale a été évoquée sérieusement et un peu plus d'un mois depuis l'assassinat de Chokri Belaïd.
Une révolution de plus de deux ans d'âge, y compris une longue quinzaine de mois de faux-pas innommables et d'échecs innombrables sous la direction d'une Troïka bricoleuse qui n'a rien appris, et des tromperies que l'on ne compte plus, pour en arriver à ce constat d'impuissance, pour en arriver à tous ces désenchantements et pour ne plus savoir qu'attendre une délivrance par le bulletin de vote qui ne viendra peut-être pas.
Sept ou huit autres mois durant lesquels Ennahdha finira ce qu'elle a déjà bien entamé comme travail d'apprentissage du pouvoir, comme installation aux commandes, comme entreprise d'asservissement de ses associés et recrutement d'autres opportunistes, et comme stratégie de sape de ses adversaires.
En somme, Rached Ghannouchi, car il s'agira toujours de ce gourou, poursuivra durant les prochains jours et semaines son œuvre de confiscation de la Révolution, sans trop de difficulté.
Pour ceux qui ne l'ont pas compris, je me permets de rappeler que tout, de bout en bout, n'est qu'une tentative de gain de temps: du «sursaut» fracassant de Moncef Marzouki qui propose, en novembre dernier, un gouvernement restreint, au mea culpa de Hamadi Jebali d'il y a un mois qui, se posant en réfractaire nahdhaoui, exprime le souhait de «sauver» le pays.
Pour ceux qui ne l'ont pas compris, disons clairement que les dés sont pipés. Et le reste n'est que mise en scène, diversion et supercherie orchestrées par Montplaisir (siège d'Ennahdha, Ndlr).
... à un gouvernement Ennahdha dont on attend des échecs tout aussi cuisants.
Sauver une alliance usée jusqu'à la corde
Que nous révèle le gouvernement Ali Lârayedh?
L'on y trouve un mélange de plusieurs genres: un petit jeu de sauvetage de la Troïka, une apparente concession sur la neutralité et l'indépendance des ministères de souveraineté, une prétendue feuille de route fixée, une fin de mandat datée et le tout saupoudré d'une bonne volonté affichée et d'une main tendue qui n'engagent que celui qui les a prononcées, à savoir «Monsieur Devant-Derrière», incontestablement le plus incompétent des membres de la précédente équipe gouvernementale nahdhaouie.
Tout d'abord, signalons que plus d'une vingtaine des ministres et secrétaires d'Etat qui ont servi sous M. Jebali – et qui, dans les meilleurs des cas, ont été à peine moyens ou ont su se faire quelque peu oublier – ont été reconduits. Cela porte un nom ou deux, et peut-être même trois: il s'agit de colmater comme on peut les brèches béantes d'une alliance (Ennahdha-CpR-Ettakatol) usée jusqu'à la corde, de ne jamais céder sur le terrain de la légitimité du 23 octobre et donner à voir une certaine assurance qui vient confirmer une fois de plus l'arrogance des Nahdhaouis. En appliquant cette formule du «on ne change pas une équipe qui perd», la Troïka persiste, signe et passe au chapitre suivant...
Agrémenter ce rafistolage par des nominations de personnalités indépendantes et de compétences neutres à la tête des ministères régaliens servira à faire avaler la pilule du «j'y suis, j'y reste» jusqu'au prochain scrutin. Ni plus, ni moins. Placer des compétences indépendantes à la tête de l'Intérieur, la Défense, la Justice et les Affaires étrangères aura le mérite d'offrir la chance à Ennahdha de se dédouaner à très moindres frais et d'assurer le passage à gué jusqu'aux élections: n'était-ce pas là la revendication la plus insistante des oppositions unies et dispersées? Ces personnalités de vitrine, en sept ou huit mois, géreront les affaires courantes d'un agenda qui a été mis en œuvre depuis de longs mois et avec des femmes et des hommes qui ont été désignés sous le premier gouvernement nahdhaoui. Autant dire, donc, que tenter de démêler et de détricoter l'écheveau du Père Ghannouchi sera une folie sisyphienne.
Nous passerons très vite sur le programme du gouvernement Lârayedh pour dire que, dans le meilleur des cas, il sera un vœu pieux de la piété nahdhaouie, c'est-à-dire un mélange mortel de bigoterie «islamo-démocrate», de calculs machiavéliques, d'exploitation d'une certaine «innocence» électorale du citoyen tunisien, d'un complexe de persécution des Nahdhaouis et de toutes sortes de complots...
Au bout du parcours, nous nous retrouvons au point de départ du 14 janvier 2011: une économie exsangue, une sécurité des plus incertaines, wahhabisme et jihadisme rampants et galopants, une histoire et une société en pleine déconstruction et toutes les violences permises pour refaire notre identité tunisienne.
Bref, nous nous retrouvons avec une Révolution aux mains vides, et la perspective quasi-assurée d'avoir à composer avec les mêmes Ennahdha, leurs suivistes CpR et Ettakatol aux commandes des affaires du pays et, peut-être même, seront-ils assistés par d'autres resquilleurs...
S'il ne me restait que les mots, je construirais des phrases assassines pour pilonner le projet de Rached Ghannouchi jusqu'à le voir s'écrouler.