Basma Khalfaoui Belaid

Les démocrates pourront légitimement compter désormais sur la nouvelle icône nationale, l'Antigone tunisienne des temps modernes, Basma Khalfaoui-Belaïd, pour qu'elle poursuive inlassablement le combat du cher disparu.

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

«Oh! Quel farouche bruit font dans le crépuscule/Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule!»

Ces deux vers de Victor Hugo, et qui ont partiellement servi à Malraux d'intitulé à l'un de ses plus célèbres ouvrages, m'ont, soudain, trotté dans la tête sur l'avenue de Carthage en ce lumineux et printanier après-midi où la Tunisie, inspirée par la Révolution du 14 janvier 2011, célèbre le 40e jour de la disparition du martyr de la Liberté. Car, à voir la ferveur de ces foules venues dire et redire leur colère plus d'un mois après le lâche assassinat qui a secoué tout le pays le 6 février dernier, l'on ne peut que constater l'énorme fracas que produit la mort d'un grand homme!

40e jour de la mort de Chokri Belaid

"Le sang de Chokri arrose la terre de la Tunisie pour qu'y pousse l'arbre de la liberté et de la dignité", lit-on dans cette pancarte brandie par un enfant.

La grande famille des démocrates rassemblée

Énorme fracas que la minuscule cervelle du commanditaire de ce meurtre politique ne pouvait aucunement prévoir ou envisager!

Énorme fracas qui vient de merveilleusement servir la cause que le dirigeant du Parti des patriotes démocrates unifié (Watad) a défendue sa vie durant et cela malgré la mort traîtreusement donnée!

Énorme fracas, qui a si bien fédéré et rassemblé toute la grande famille des démocrates de ce pays. Grande famille où se retrouvent les véritables et farouches défenseurs de la Révolution et du Progrès, les amoureux inconditionnels de la Vie et de la Liberté, les adeptes éclairés de la Raison et de la Lumière de l'esprit. C'est-à-dire ceux-là mêmes qui ont été le moteur des événements ayant, progressivement, conduit à la chute de la dictature et à l'instauration de la parole désormais, et à jamais, libre et libérée.

Comme les démocrates que nous sommes, nous-nous sentons, heureusement, différents de ces esprits rétrogrades, repliés sur eux-mêmes, oublieux du présent, mais formellement attachés à un passé définitivement révolu qui leur sert de boussole permanente!

Ce sont, précisément, ces esprits fanatisés, hermétiquement fermés, quoiqu'ils disent, au jeu démocratique et aux valeurs de la Liberté; ce sont ces responsables politiques aux propos enflammés, aux fatwas irresponsables et aux prêches incendiaires, qui ont dangereusement armé le bras de l'assassin de Chokri Belaïd.

40e jour de la mort de Chokri Belaid 2

"Le gouvernement de la honte ne passera pas"...

Ce sont, précisément, ces esprits fanatisés – bien loin des vrais musulmans ouverts et au diapason de leur époque – qui, aujourd'hui, déclarent la démocratie contraire aux préceptes de l'islam tel qu'ils l'entendent et ont, par là même, dangereusement armé le bras de l'assassin de Chokri Belaïd.

L'imam de la mosquée du Palais du Bardo, comble de l'ironie, à l'intérieur même de l'Assemblée nationale constituante (Anc), serait de ces prêcheurs dont la parole tonnante condamne sans ambages les institutions démocratiques pour non conformité avec le texte coranique!

Essayez toujours de convaincre ce saint homme de la nécessité d'organiser des élections loyales, transparentes et ouvertes à toutes et à tous comme l'exigeait feu Chokri Belaïd!

Essayez aussi de convaincre le prêcheur de l'Anc de la nécessaire alternance pacifique au pouvoir et cela dans le respect des règles démocratiques si chères à Chokri Belaïd!

Essayez de convaincre M. Ghannouchi lui-même des droits de la femme ainsi que de l'adoption sans réserve aucune de la Convention internationale contre toutes les formes de discrimination contre les femmes (Cedaw) dont il juge certaines dispositions incompatibles avec la religion musulmane comme il vient de le déclarer, vendredi 16 mars, au cours d'une conférence à la Cité Ettadhamen !

Ce sont encore de tels propos qui ont dangereusement armé le bras de l'assassin de l'infatigable défenseur de l'égalité de toutes et de tous les citoyens que fut l'avocat des pauvres et des plus démunis Chokri Belaïd.

Basma Khalfaoui-Belaïd : la nouvelle icône nationale

Ces esprits obtus et d'un autre siècle doivent, cependant, compter maintenant avec toutes ces foules, si nombreuses et si déterminées, rassemblées désormais grâce à l'énorme fracas que produit la mort d'un grand homme. Toutes ces foules de citoyens endeuillés et en colère, n'ont-elles pas adopté comme slogans, aussi bien samedi, sur l'avenue Habib Bourguiba, que le lendemain, dimanche, à la Coupole d'El-Menzah: Qui a tué Chokri Belaïd? Qui se cache derrière le meurtrier de Chokri Belaïd? Nous sommes tous des Chokri Belaïd! Ou encore: responsables politiques, écoutez la voix du peuple!

40e jour de la mort de Chokri Belaïd 3

Le combat de Chokri Belaïd est celui de tous les jeunes tunisiens qui ont fait la révolution.

On essaiera bien difficilement de détourner l'attention de tous ces citoyens en leur faisant croire que le problème majeur des Tunisiens ne serait pas, aujourd'hui, celui de la violence politique, dont celle, principalement, exercée par les fameuses prétendues Ligues de protection de la révolution (LPR)! Mais que le problème majeur des Tunisiens serait actuellement celui de leur identité! Ou qu'il serait lié à la pratique, bien étrangère à nos mœurs, de l'excision, présentée récemment comme une simple opération esthétique par un soi-disant représentant du peuple à l'Anc! Ou encore qu'il serait en rapport avec le bonheur du bon musulman et qu'il s'agit de trouver, paradoxalement, dans un passé définitivement révolu!

On fera bien difficilement croire à toutes ces femmes et à tous ces hommes que la moitié féminine de la société pourrait faire l'objet de certaines discriminations prétendument inscrites dans le texte coranique!

Mais, on pourra légitimement et justement compter maintenant sur notre nouvelle icône nationale, sur l'Antigone tunisienne des temps modernes, sur Basma Khalfaoui-Belaïd pour qu'elle poursuive inlassablement le combat du cher disparu. Pour qu'elle rassemble aussi nos compatriotes des deux sexes autour des idéaux de Dignité, de Justice et de Liberté pour lesquels Chokri Belaïd a généreusement donné sa vie.

Et avec «Quel farouche bruit»!

* Universitaire.