En Tunisie, le parapluie des passe-droits protégeait, jadis, les riches et quelques Rcdistes influents, aujourd'hui la situation empire car il faut compter, en plus des riches – anciens et nouveaux –, les protégés de la troïka et ils sont très nombreux.
Par Mustapha Kammoun*
En Tunisie, désormais, c'est l'opinion publique agissant spontanément – cas de la bloggeuse Olfa Riahi – ou non qui décide de la gravité des faits et de la bonne moralité des personnes publiques. Une personne faisant parti d'un réseau ou profitant de sa sympathie ne sera pas traitée par l'administration ou la justice de la même manière que le commun des mortels. On se rend alors compte que la révolution, bien qu'elle ait permis de nous débarrasser de certains privilégiés proches du régime déchu, elle ne nous a cependant pas libéré des passe-droits, favoritisme et autres avantages octroyés au plus fortunés et pistonnés par le nouveau pouvoir en place.
Les arrangements inter-troïka
Ainsi, par le simple fait que Rafik Abdessalem, ex-ministre des Affaires étrangères, ait payé sur ses propres deniers une chambre d'hôtel, lui a valu d'emblée les pires soupçons – à tort ou à raison – de la part des médias, des chroniqueurs et des facebookers. Par contre, on a assisté à la mobilisation d'une bonne partie de l'opinion publique pour défendre notre chargée d'affaires à Helsinki, en l'occurrence Zohra Ladgham, pour des faits quasiment similaires.
Pourtant, le comportement de Mme Ladgham est loin d'être acceptable et défendable tellement les indices recueillis étaient compromettants.
Imaginons que Mme (ou M.) X ait commis les mêmes faits et qu'elle (il) n'est pas la fille (fils) d'un ex-Premier ministre, la sœur (frère) d'un ministre en poste (de la Gouvernance et la Lutte contre la corruption) et par-dessus tout proche du parti Ettakatol (membre de la troïka au pouvoir), aurait-elle (il) une chance de s'en tirer sans dégâts majeurs?
Aucune à mon avis d'autant plus que l'intéressée, assez peu respectueuse de l'obligation de réserve, s'est permis de contre-attaquer sa hiérarchie dans tous les médias en mettant l'affaire sur le dos des salafistes, lesquels n'ont fait que profiter des erreurs qu'elles a commises. Pour la sauver on a assisté à la mobilisation générale d'Ettakatol et, comble de l'ironie, Touhami Abdouli, ex-secrétaire d'Etat auprès du ministère des Affaires étrangères et membre du même parti, n'a pas hésité à stigmatiser son propre ministre en lui reprochant via les médias le non respect des procédures. Du jamais vu dans l'administration tunisienne. Dans sa démarche il a été épaulé par tout l'appareil de son parti.
Bien entendu M. Ladgham – le frangin – s'est gardé de faire des déclarations en faignant garder ses distances. On ne doute pas un instant que Mme Ladgham va bien profiter de la bienveillance d'Ennahdha et que l'affaire sera classée sans suite pour ne pas fâcher ses précieux alliés qui, sans doute, pourraient, le moment venu, leur renvoyer l'ascenseur en fermant les yeux sur des écarts similaires.
En tout cas, Mme Ladgham, nonobstant la décision de M. Abdessalem lui intimant l'ordre de rentrer, est restée à Helsinki. Or, après un tel scandale aussi médiatisé, la raison d'Etat impose la fermeté à M. Lârayedh. Hélas, les arrangements inter-troïka ayant conduit in-extremis à la formation du nouveau gouvernement semble primer sur la raison même.
Une justice partisane en marche
Noureddine Bhiri, ex-ministre de la Justice, a réalisé l'exploit de révoquer sommairement et d'un trait 80 juges en violation des droits à la défense. Or, Nessma TV vient de nous apprendre qu'un des juges a été révoqué pour avoir été photographié en flagrant délit de... consommation d'alcool! (Vidéo http://youtu.be/p4CUlLnML5s)
Sans nul doute, juges et diplomates sont particulièrement soumis à l'obligation de réserve et doivent avoir un comportement irréprochable mais de là à révoquer un juge ayant une carrière de plus de quinze ans pour une bouteille de vin semble excessif, surtout que la manière employée est on ne peut plus brutale, agressive et humiliante pour sa personne et pour sa famille.
Et si ce juge amateur d'alcool se nommait Maâtar, Zaouia, Ladgham ou Bhiri et avait un frère au gouvernement, la sentence aurait-elle été la même? J'en doute fort.
En Tunisie, le parapluie des passe-droits protégeait, jadis, les riches et quelques Rcdistes influents, aujourd'hui la situation empire car il faut compter, en plus des riches – anciens et nouveaux –, les protégés de la troïka et ils sont très nombreux.
Ainsi, la liste des intouchables s'élargit à vue d'œil en plein transition et ce quel que soit le gouvernement.
* Retraité.