Bonté divine, au lieu de vous en prendre à l'opposition et aux médias, assumez les conséquences de vos choix, monsieur le président (heureusement) provisoire de la république!
Par Moncef Dhambri
A deux reprises cette dernière semaine, Moncef Marzouki a cru bon décharger toutes ses frustrations sur l'opposition et les médias tunisiens et caresser dans le sens du poil le monstre de Montplaisir. Il en a profité, également, pour lancer sa campagne pour les prochaines présidentielles... Lui qui a tout épuisé. Lui, qui s'est laissé ensorceler par le gourou Rached Ghannouchi, devrait savoir qu'il ne trompera pas les Tunisiens une deuxième fois.
Le président provisoire Moncef Marzouki vient de lancer une offensive, la plus virulente de sa carrière de locataire du Palais de Carthage, contre l'opposition, persistant ainsi et signant que son adhésion à la Troïka a été une option bien réfléchie et qu'elle demeure entière et irréversible.
A huit ou neuf mois des élections, cette posture guerrière du président d'honneur du Congrès pour la République (CpR) a le mérite de dissiper certaines ambiguïtés que «le président sans prérogatives» a pu cultiver. Elle clarifie la ligne de conduite du droit-de-l'hommiste qui a goûté au pouvoir et, très certainement, indique le choix du thème de sa campagne aux prochaines présidentielles.
M. Mazouki profite d'une visite officielle en Allemagne... pour critiquer l'opposition et les médias de son pays en des termes plutôt grossiers. Un chef d'Etat dites-vous?
Les bonnes manières, c'est une culture
Nous passerons très vite sur le détail d'extrême importance que M. Marzouki ait choisi de régler des comptes de politique interne à l'étranger. Tout le monde sait que la fonction de président de la république impose une certaine tenue, de la bienséance et de la délicatesse qui consistent, entre autres obligations, de ne jamais «laver le linge sale» national à l'extérieur. Par exemple, nous avons du mal à imaginer que le président français François Hollande s'en prenne au Front national de Marine Le Pen ou l'UMP – tous deux partis de l'opposition française –, lors d'un déplacement en Tunisie... Passons. Les bonnes manières, c'est une culture et un savoir-vivre que le président provisoire ne possède pas...
Cet écart flagrant de M. Marzouki, donc, en dit long sur l'état d'esprit de l'associé d'Ennahdha, sur son affolement et son inquiétude quant au sort législatif de sa formation politique et à ses propres chances présidentielles.
Ainsi, en l'espace d'une courte semaine et à deux occasions (en Allemagne et au Qatar), le président provisoire s'est acharné sur l'opposition et les médias pour défendre l'indéfendable: pour justifier les injustifiables échecs de la Troïka, les innombrables promesses non tenues, les très sérieux retards pris par la rédaction de la constitution, la relance de l'économie et du développement qui se fait attendre, l'insécurité qui prévaut dans le pays et qui prend des dimensions très inquiétantes.
Bref, sans gène aucune, M. Marzouki se défausse sur l'opposition et les journalistes et leur impute toutes les faillites des quinze premiers mois de pouvoir de la Troïka.
Dans cette dernière ligne droite, qui mène vers le second scrutin démocratique de la Révolution, Marzouki a donc décidé de jouer son va-tout. Conscient de la déplorable performance de la première mi-temps – la sienne et celle de ses partenaires de l'alliance gouvernementale –, il ne semble pas avoir beaucoup de choix que de se jeter dans l'arène tête baissée et les yeux fermés! Car il a été le plus inadapté, le plus impopulaire et le plus maladroit de toutes les personnalités qui nous ont gouvernés, depuis le 14 janvier 2011.
Comparée aux deux autres présidences (du gouvernement et de la Constituante), celle de Moncef Marzouki a été indéniablement la plus piteuse: Hamadi Jébali a plus ou moins essayé, échoué et a eu la «décence» de se retirer sur la pointe des pieds; Mustapha Ben Jaâfar, l'homme qui a toujours su se faire oublier, a pris beaucoup de retard mais il finira par livrer une constitution qui sera, en définitive, acceptable, rectifiable, amendable et, le cas échéant, soumise au vote référendaire. En somme, MM. Jébali et Ben Jaâfar auront subi quelques égratignures et des blessures mais ils parviendront à «tirer leur épingle du jeu» à un coût moindre.
Le chef d'Etat provisoire tunisien se comporte en valet de son émir du Qatar, foulant aux pieds la dignité des Tunisiens et la souveraineté de leur pays.
Moncef Marzouki, lui, aura le plus grand mal à se dédouaner ou à s'en sortir. Son bilan a été, en tout point, négatif.
Son mandat présidentiel a été dévastateur pour son CpR. Il serait fastidieux d'établir ici un constat complet des dégâts causés par les positions de M. Marzouki dans les rangs Cpristes. En vrac, ces dommages comprennent les contradictions, désobéissances, conflits, scissions, démissions et désertions les plus nombreuses et les plus irréparables.
Les «je t'aime, moi non plus»
La moisson diplomatique du locataire du Palais de Carthage ne sera jamais source de fierté. Associé dans cette tâche à «l'inégalable» Rafik Ben Abdessalem, M. Marzouki a tout gâché, tout dilapidé et collectionné une série d'erreurs que l'Histoire ne lui pardonnera pas.
Dans un domaine où doigté, tact et subtilité sont des règles impérieuses, notre duo diplomatique Marzouki-Ben Abdessalem nous a gratifiés d'indescriptibles coups d'éclat, sautes d'humeur, pieds dans le plat et incompétences. Et le reste est de notoriété publique: nos amis, nos véritables amis, proches et lointains, nous évitent, nous tournent le dos et reportent leurs rendez-vous...
Les relations que M. Marzouki a entretenues avec ses partenaires d'Ennahdha ont été, pour le moins, troublantes. Trop de hauts et de bas, des mots aigres et des mots doux et des changements du tout au tout qui pouvaient donner l'illusion que l'appartenance du président du CpR à la Troïka n'était pas un engagement aveugle, un embrigadement inconditionnel ou une obligation absolue.
M. Marzouki plaidera, par exemple, la cause de «l'islamo-démocratie» auprès des pays frères et amis, certifiera et fera l'apologie de «la modération» des disciples de Rached Ghannouchi. Et, dans le même temps, l'ancien militant des droits de l'Homme se gardera une petite marge de manœuvre pour décocher quelques petites critiques contre l'hégémonisme nahdhaoui et la mauvaise gestion des affaires du pays.
La position des mains dit tout : l'avenir politique de Marzouki n'est plus entre ses mains, mais entre ceux du président d'Ennahdha, Rached Ghannouchi.
Souvenons-nous, par exemple, de sa grande colère le jour où l'ex-Premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi, a été extradé à son insu, de son discours lors du congrès du CpR et ses remarques «désobligeantes» qui ont contraint les dirigeants d'Ennahdha à quitter la salle...
Tous ces «je t'aime, moi non plus» de M. Marzouki étaient autant de positionnements d'un homme qui réalise (puis oublie) qu'il a été piégé par Rached Ghannouchi en choisissant d'être membre de la Troïka.
Toutes ces hésitations, qui n'en finissaient pas, n'étaient que vaines tentatives de garder intact son CV droit-de-l'hommiste et de préserver «l'identité» du CpR.
Tous ces atermoiements, qui donnaient le vertige, n'étaient que des opérations de communication mal inspirées d'une «petite pointure» qui, du jour au lendemain, a été projetée sur le devant de la scène nationale et internationale.
Bref, l'histoire de Moncef Marzouki reste cette mésaventure d'un papillon qui, pour avoir volé trop près du soleil, a brûlé ses ailes. Aujourd'hui, tombé sur terre, réalisant qu'il a trop misé sur le cheval nahdhaoui et qu'il ne peut plus faire machine arrière, il s'en prend à l'opposition et aux journalistes tunisiens.
M. Marzouki, vous avez joué un jeu dangereux et vous avez tout perdu. L'opposition n'y est pour rien. Vous êtes la cause de votre propre banqueroute. Les médias n'y sont pour rien. Ils ont fait leur travail et continueront de dénoncer toutes les formes d'arrivisme et d'opportunisme.
Bonté divine, assumez les conséquences de vos choix, M. le Président de la république provisoire!