Béji Caid Essebsi

Béji Caïd Essebsi (BCE), président de Nida Tounes, jeudi soir, au ''21 Heures'' d'Ettounissia TV et d'être maître en relations publiques, a pu parfois glisser sur la pente savonneuse de sa popularité montante dans les sondages.

Par Moncef Dhambri

Même si on a le sentiment d'être en terrain conquis, les mots doivent être pesés avec beaucoup de minutie et les plus petits détails doivent être mesurés. Car, un premier écart, un second et un troisième, et l'ascension vertigineuse peut se transformer en chute libre, voire en descente aux enfers. Et à tout instant, un capital de sympathie et de soutien peut fondre comme neige au soleil. L'image tue l'image, nous le savons.

Nos politiciens et leurs conseillers en communication auraient souvent tendance à oublier – ou ne le savent peut-être pas – que, dans le jeu démocratique moderne auquel la Tunisie révolutionnaire est en train de s'essayer, l'information appartient à tout le monde et échappe à tous en même temps. Tout se joue parfois sur un petit mot, sur une petite expression du visage, en une fraction de seconde, et sans que le locuteur ne puisse s'en apercevoir. La simple phrase, si courte soit-elle, une fois lancée, gicle et prend très vite une ampleur incontrôlable. Elle est répercutée par les réseaux sociaux à l'infini et peut devenir un véritable tsunami.

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L'âge est traître

Dans les jours, les semaines et les mois à venir, nos hommes politiques qui se placeront dans les starting-blocks des élections législatives et présidentielles vont devoir tenir compte de cette règle élémentaire de la communication de ce début du troisième millénaire.

Il nous semble que M. Caïd Essebsi, «El Bajbouj» comme aiment à l'appeler ses sympathisants, serait plus oublieux que d'autres politiciens que l'exposition médiatique est une arme à double tranchant. Il gagnerait à ce que ses conseillers lui rappellent que la communication n'est plus ce qu'elle était du temps de Bourguiba, pendant les années 60 et 70, et qu'ils lui disent que l'époque de l'improvisation des bains de foule et des immersions populaires est bel et bien révolue. En 2013, la prestation politique se joue sur d'autres registres plus subtils, avec d'autres touches plus sophistiquées et des démarches scientifiques que l'on se doit de maîtriser.

Il est tout à fait clair que M. Caïd Essebsi est, à plus d'un titre, mal conseillé. Prenons deux détails seulement pour illustrer nos propos et suggérer l'urgente rectification de tir que l'emballage du produit BCE, sa commercialisation et sa présidentialisation devront opérer.

Il y a deux faiblesses dans l'image de M. Caïd Essebsi qui doivent être réparées instamment. De toute urgence, la communication de BCE doit trouver la parade au facteur de l'âge et à la décontraction du «Monsieur qui a tout vu, tout connu et sait tout».

L'âge de notre BCE national (87 ans, en novembre prochain) va sans nul doute être une cible facile qu'Ennahdha, ou autre adversaire du Nida, ne ratera pas. Souvenons-nous de l'attaque frontale – très ancienne déjà – de Rafik Abdessalem critiquant le fait que, selon lui, M. Caïd Essebsi ne fasse pas «la différence entre l'âge biologique et l'âge politique» et osant même lui lancer le défi d'un «duel politique et intellectuel».

L'ancien ministre des Affaires étrangères, gendre de Rached Ghannouchi, a compris que l'âge peut servir comme arme fatale et que les Nahdhaouis peuvent faire dire à ce thème tout ce qu'ils veulent: avec sa cinquantaine d'années de carrière politique, sinon plus, BCE a pu tremper dans des activités plus ou moins inavouables et commettre quelques erreurs qui pourront ressurgir à tout moment. Et c'est sur ces «réapparitions» et les dépoussiérages du passé de M. Caïd Essebsi que Montplaisir comptera dans ses prochaines campagnes législatives et présidentielles.

L'âge ne sera donc pas synonyme d'expérience, de maîtrise des sujets nationaux et internationaux, de savoir-faire et de solutions efficaces aux problèmes du pays. Ce sera tout le contraire... L'âge deviendra handicap. Et il le sera d'autant plus, en Tunisie du 14 janvier, le pays de la révolution de la jeunesse.

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Caïd Essebsi au meeting de Nida Tounes à Gafsa, le 8 avril 2013.

Un gros plan balaie le visage

L'âge devient alors passéisme, paternalisme, déphasage et déconnexion – même si BCE tente de paraître très détendu sur un plateau de télévision. Par exemple, à Moez Ben Gharbia, jeudi soir, il fait comprendre qu'il sait qu'il est originaire de Bizerte, il lui lance quelques petites vannes et plaisante avec lui et avec son co-équipier, Slaheddine Jourchi. Il leur avoue qu'il aime sa marionnette des Guignols d'Ettounissia et qu'il n'est nullement incommodé par le fait qu'on le caricature de cette manière... Bref, BCE essaie de se faire passer pour un homme de son temps, relax, gracieux et d'abord facile.

M. Caïd Essebsi et ses conseillers en communication oublient le détail important que cette promenade de santé de Bajbouj sur Ettounissia coûte également cher, qu'elle peut montrer, de manière subliminale et indésirable, ce que l'on n'a jamais voulu mettre en évidence. Un gros plan furtif balaie un visage et s'attarde sur le passage du temps: les rides et creux deviennent trop visibles, les lèvres tremblotantes indiquent l'existence d'un dentier mal fixé, la sueur sur le front et la bouche pâteuse trahissent une certaine fatigue – sans oublier les mots que l'on cherche et que l'on ne trouve pas et les phrases décousues.

En définitive, on en arrive à la conclusion que M. Caïd Essebsi n'est pas une bête de la scène médiatique, qu'il n'est pas inusable.

Les apparitions publiques de notre octogénaire national devront donc être plus et mieux soignées, car des dérapages verbaux peuvent se produire à tout instant. Jeudi soir, par exemple, sur le plateau du ''21 Heures'', répondant aux critiques de ses adversaires, BCE s'est laissé emporter et a utilisé l'expression quasiment intraduisible d' «el-emarek» (serait-ce «sales têtes», «sales gueules» ou «connards»?), et Moez Ben Gharbia de le reprendre aussitôt: «C'était un mot de trop, M. Caïd Essebsi».

Oui, c'est ce qui arrive lorsque l'on est mal coaché. C'est ce qui arrive lorsque l'on fait trop confiance aux sondages «artisanaux» et que l'on pense que la partie est déjà gagnée. C'est ce qui arrive, aussi, lorsque l'on estime qu'une imitation surfaite de Bourguiba ou le style Abdelaziz El-Aroui est toujours de mise en 2013, en Tunisie.

J'ai mille et une raisons d'éprouver de la sympathie pour Béji Caïd Essebsi et son Nida Tounes. Et les deux très longues années de gouvernement de la Troïka n'ont fait que renforcer cette attirance pour l'homme qui a grandement contribué, entre autres choses, à offrir à la Tunisie un baccalauréat «net et sans bavure» et les premières élections libres et transparentes de son histoire.

Ce qui est sorti des urnes le 23 octobre 2011 et la victoire d'Ennahdha, BCE et mon bulletin de vote n'y étaient pour rien.