Pour commémorer les évènements du 9 avril 1938, des marches de diverses sensibilités politiques ont eu lieu mardi à l'avenue Habib Bourguiba. Présence massive de la police, pas de gaz lacrymogène ni de violences ni de blessés, comme ce fut le cas l'an dernier.
Par Zohra Abid
«Lorsqu'il y a vraiment une décision politique pour qu'il n'y ait pas d'affrontements, la police encadre tout et s'en sort bien. Cette fois, rien n'a été donc signalé pendant cette journée, placée pourtant sous haute tension», raconte à Kapitalis un citoyen, attablée à la terrasse d'un café, sirotant tranquillement son thé à la menthe.
Un important cordon de policiers guettant le moindre geste d'hostilité.
Quand on veut on peut
Pourtant, entre l'opposition et les nouveaux décideurs du pays, il y a un tel manque de confiance que l'on était en droit de craindre de nouvelles violences dans cette avenue qui était, il y a tout juste un an, jour pour jour, le théâtre d'agressions de la police de Ali Lârayedh (à l'époque ministre de l'Intérieur) contre les manifestants pacifiques, faisant plusieurs blessés dans les rangs des manifestants. Et provoquant un flot d'indignations et de critiques à l'encontre du ministre qui a dû être auditionné par les députés de l'Assemblée nationale constituante (Anc).
Un an après, c'est ce même Ali Lârayedh, devenu entretemps chef du gouvernement, qui a déclaré aux médias, avec la morgue d'un dictateur en herbe, que l'enquête sur les violences du 9 avril 2012 n'a plus lieu d'être et que le dossier est définitivement classé.
La police déployée sur l'Avenue Habib Bourguiba dès le début de la matinée pour encader les manifestants.
Les dirigeants de gauche, qui exigent encore la vérité sur les violences du 9 avril 2012, sur l'attaque du siège de l'Ugtt, le 4 décembre, et sur l'assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février, sont unanimes : M. Lârayedh et le gouvernement de la troïka se sont arrangés pour manipuler les données et détruire les preuves accablant les partisans du parti Ennahdha et des Ligues de protection de la révolution (LPR), de manière à pouvoir classer les affaires, comme si de rien n'était, et sans le moindre égard pour les victimes. Autant dire que la déclaration intempestive de M. Lârayedh a soulevé une tempête d'indignations et critiques dans les rangs des opposants.
Pourtant, la marche pacifique s'est très bien passée. Et il y avait de quoi se féliciter de l'élan citoyen qui a réuni les Tunisiens dans une même marche pour la liberté, l'unité et le progrès. Il a donc fallu que le chef du gouvernement rompe le charme et mette les pieds dans le plat.
Les commerces reprennent le sourire
Dès lundi, on a annoncé la fermeture pour aujourd'hui de l'Avenue, des rues voisines et du circuit que vont emprunter les partisans de l'Union pour la Tunisie, coalition politique composée de Nida Tounes, le Parti républicain (Al-Jomhouri), la Voie démocratique et sociale (Al-Massar), le Parti socialiste et Parti pour la Justice, le Progrès et Egalité.
Dès 10 heures, le centre-ville de Tunis était déjà noir de monde. Les cafés et les commerces n'ont pas fermé et les milliers de partisans de l'opposition sont déjà rassemblés au niveau de la statue Ibn Khaldoun en attendant les leaders politiques pour commencer la marche.
Meeting de l'Union pour la Tunisie à Bab Souika.
«En deux heures, notre chiffre d'affaires a dépassé celui de toute une journée. Nous avons bien profité de cette affluence», a dit à Kapitalis, le gérant d'un café. Les serveurs ne savent plus où donner de la tête pour chouchouter les clients d'une glace à la vanille, à la pistache, au nougat, ou autres parfums. Il faut dire qu'il a fait beau aujourd'hui sur Tunis.
Pas loin, plusieurs marchands ambulants proposent des drapeaux et des écharpes aux couleurs du pays. Un commerce occasionnel qui rapporte bien désormais.
Cordon de sécurité
A droite des manifestants, quelques centaines de partisans d'Ennahdha (et alliés islamistes et autres des Ligues de la protection de la révolution) ont occupé bruyamment l'escalier du Théâtre municipal de Tunis et les autres trottoirs des environs.
Entre ces deux composantes d'un même peuple, divisé depuis qu'Ennahdha est au pouvoir, un cordon de policiers guettant le moindre geste d'hostilité de ces individus haineux qui crient des slogans violents contre Nida Tounes et son leader Béji Caïd Essebsi.
La colère des membres des LPR est montée d'un cran lorsqu'ils ont vu venir une grappe de journalistes. «Médias de la honte, dégage!», ont ils crié en tentant de les agresser. Les agents de police se sont alors serrés les rangs et ont entouré les hommes et femmes des médias pour empêcher toute agression. Cela n'a pas empêché une personne barbue de prendre des photos des journalistes, l'un après l'autre. Dieu seul sait à quel usage destine-t-il ces clichés! Les journalistes, sous pression et de plus en plus menacés, sont désormais, on le sait, la cible de ces extrémistes tombés d'une autre planète.
Un autre son de cloche
Côté opposition, il a manqué au grand cortège les affiches du Front populaire et celles d'Al-Qotb, ces partis ont préféré célébrer l'événement, séparément et à une heure d'intervalle, comme pour marquer leur différence ou leur volonté de constituer un autre pôle entre Ennahdha et «sa» troïka d'un côté et l'Union pour la Tunisie de l'autre.
Les partisans de l'Union pour la Tunisie ont donc occupé toute la place, et par le nombre, et par la minutieuse organisation de la marche. On avait même prévu des bouquets de fleurs à la mémoire des martyrs de la nation, ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui.
Aux premiers rangs de la marche, les leaders, tout sourire, agitant des drapeaux ou criant contre la politique de la troïka. Derrière eux, la foule scande divers slgans : «Liberté, démocratie»; «Le peuple veut savoir qui a tué Belaïd»; «Nous sommes sûrs: Ghannouchi a tué Belaïd» ou encore «Dignité, liberté, emploi»... Sans oublier les appels à la dissolution des LPR.
Devant l'horloge, une poignée de partisans du Parti de la réforme et du développement, dirigé par Mohamed Goumani, un ancien d'Al-Jomhouri, distribuaient timidement des tracts pour promouvoir leur parti.
Iyad Dahmani rend hommage aux forces de sécurité qui ont bien fait leur travail cette fois.
Pas de violence à signaler
Les partisans d'Ennahdha et leurs alliés, réduits à quelques centaines, sont restés sur place, à gesticuler pour faire acte de présence. Mais la marche de l'opposition a continué vers l'avenue Mohamed V. Puis direction : Place Bab Souika ou un meeting populaire a eu lieu avec des discours des secrétaires généraux des 5 partis de l'Union pour la Tunisie, promettant l'union du peuple et de meilleurs jours.
Quelques partisans d'Ennahdha ont tenté, encore une fois, de troubler le meeting de leurs adversaires politiques, mais la police a réagi rapidement pour les empêcher de déclencher la bagarre qu'ils cherchaient. Finalement, rien de grave n'a été signalé. Et c'est tant mieux pour tout le monde et d'abord pour la démocratie naissante en Tunisie.
14 heures, les célébrations sont terminées. «Nous devons rendre tout de même hommage au nouveau ministre de l'Intérieur qui a vraiment réussi à maitriser la situation. Il faut vraiment saluer les efforts et la volonté de Lotfi Ben Jeddou. La police a démontré sa capacité à tenir les rênes des uns et des autres pour éviter les dérapages», a déclaré Iyad Dahmani à Kapitalis.