Enquête de nos confrères algériens ''L'Espression'' sur ces jeunes Tunisiens endoctrinés et recrutés pour aller renforcer les troupes des combattants du Front Ennosra (proche d'Al-Qaïda) en Syrie.
Par Ikram Ghioua
Ils sont âgés entre 17 et 30 ans. Issus de milieux précaires, vulnérables et sans repères, ils sont plus de 6.000 jeunes Tunisiens à avoir subi un lavage de cerveau par des islamistes radicaux, organisés dans des filières lucratives, activant au sein des mosquées dans le seul but de les envoyer combattre en Syrie. Pour eux, c'est le jihad, peu importe le prix. Des camps d'entraînement en Libye et au sud de la Tunisie ont été conçus spécialement pour eux. Acheminés vers la Turquie et le Liban, les frontières sont ouvertes pour investir la Syrie. Les faits! Ce n'est certainement pas ça qui manque.
Ghannouchi, Al-Qaradhaoui et les autres
Certains de ces jeunes Tunisiens sont revenus au pays traumatisés après avoir découvert une autre réalité. Mais beaucoup ne reviendront pas. S'ils ne sont pas détenus, il faut les compter soit parmi les morts, soit dans des affrontements, soit dans des attentats suicides. Qui est responsable? Les familles de ces jeunes accusent l'Etat de n'avoir rien fait et rendent coupable le parti islamiste tunisien Ennahdha de Rached Ghannouchi, de cette situation.
Néanmoins, un autre nom est revenu à la surface dans cette affaire de recrutement de «jihadistes» tunisiens : le prédicateur bien connu, Youcef Al-Qaradhaoui qui officie sur la chaîne qatarie Al-Jazira. Un couple qui s'est donné pour objectif de pourvoir les besoins du jihad et promet le paradis aux «martyrs» tunisiens. Abou Koussay, l'un des «jihadistes» tunisiens partis en Syrie a, dans une interview au journal arabophone tunisois ''Assarih'', fait des révélations effrayantes après son retour. Il indique être parti «(...) avec plusieurs autres jeunes Tunisiens issus de différents milieux». Ses coreligionnaires se trouvent actuellement aux côtés des islamistes en Syrie. Il indique également la «présence de 13 filles dans les rangs des djihadistes».
Ce n'est qu'après un départ en cascade de jeunes tunisiens et sous la pression des familles que les autorités ont commencé à s'inquiéter. Dans ce contexte, le procureur général du tribunal de première instance de Tunis a indiqué, récemment, dans un communiqué, qu'«une enquête a été ouverte par le parquet tunisien. Son rôle principal est d'identifier les réseaux qui facilitent le recrutement de Tunisiens dans les rangs de la rébellion syrienne».
Les recrues, à ne pas en douter, sont choisies parmi les plus démunies. Les recruteurs, indique en ce sens le professeur Naceur Khechini, un spécialiste de la charia, «visent les jeunes moins éduqués et au chômage au moyen d'incitation financière et de fatwas religieuses».
Par ailleurs, l'actuel chef du gouvernement, Ali Lârayedh, n'a pas trouvé mieux à déclarer que de dire que «les jeunes Tunisiens sont libres de quitter le territoire national», prétextant que «les autorités ne sont pas autorisées à le leur interdire sur le plan légal».
«Ne pas laisser la Tunisie aux mains des laïcs»
Selon le journal français ''Le Monde'', certains observateurs estiment que le départ en masse de jeunes Tunisiens vers la Syrie est un complot pour vider la scène «jihadiste» tunisienne de ses élites! Le journal souligne dans une récente édition : «quand on ne vise pas le parti Ennahdha ou des prédicateurs, les soupçons sur des réseaux d'enrôlement se portent sur le Qatar».
Citant un entretien réalisé par un journaliste indépendant, le même quotidien indique «le chef du groupe salafiste Ansar Al-Chariâ, Abou Iyadh, recherché par la police depuis l'attaque de l'ambassade américaine, le 14 septembre 2012, avait tenté d'endiguer la vague de départs. Il craignait un complot pour vider la scène jihadiste tunisienne de ses éléments.
Son appel a été diffusé sur le site ''Al-Andalouse'' d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), afin de ne pas laisser la Tunisie aux mains des laïcs». ''Le Monde'' évoque le «départ de jeunes femmes pour le jihad sexuel, afin de soutenir les islamistes en Syrie», qualifiant toutefois la nouvelle de rumeur.
Peut-on mettre fin à cette tragédie? Quand il y a un Qaradhaoui qui appelle à l'assassinat des oulémas, savants et chercheurs – Cheikh Ramadan Al-Bouti a été assassiné à Damas après une fatwa d'Al-Qaradhaoui – et légitime le meurtre, associé à un Ghannouchi pour l'enrôlement de jihadistes pour la Syrie, nous avons là une tragédie sans nom.
Le président de l'Institut tunisien des relations internationales (Itri) et membre de la commission des observateurs arabes en Syrie, Ahmed Manaï, dans une contribution au journal tunisois ''La Presse'' souligne que «c'est une genèse infernale sous laquelle croulent des milliers de jeunes Tunisiens partis au jihad en Syrie en laissant leurs familles, rivées devant les écrans de télévision suivre l'évolution dramatique dans ce pays frère». Il confirme l'association pour l'enrôlement de ces jeunes, entre Qaradhaoui et Ghannouchi, et sur «le caractère stratégique» d'une rencontre qui a eu lieu à Tripoli, le 11 décembre 2011, qui a réuni Youcef Qaradhaoui, Rached Ghannouchi et Hamad bin Jassim Jabber Al-Thani, ministre des Affaires étrangères du Qatar, ainsi que le N° 2 des Frères musulmans en Syrie, tous venus en principe sceller la réconciliation des Libyens. L'ex-jihadiste, Abdelhakim Belhaj, gouverneur militaire de Tripoli, a également participé à cette réunion, au cours de laquelle a été décidée l'adhésion à l'accord Ghalioun-Abdeljelil «d'armer et d'envoyer des combattants tunisiens et libyens en Syrie».
Ahmed Manaï ajoute encore que «c'est l'accord Borhane Ghalioun-Mustapha Abdeljelil, du mois d'octobre 2011, qui a jeté les fondements de la coopération militaire entre les deux ''révolutions'' libyenne et syrienne, rejoint par le salafisme-jihadiste tunisien et le parti Ennahdha qui ont adhéré à ce mouvement». Cela explique le départ en masse de jeunes Tunisiens en Syrie après l'endoctrinement qu'ils ont subi par voie de prêches, ensuite par le recrutement direct qui se fait plus discrètement par des réseaux qui disposent de moyens financiers et de complicités de haut niveau.
Si aujourd'hui le chiffre est de 6.000 Tunisiens à avoir rejoint les jihadistes en Syrie, des observateurs avertissent que leur nombre peut doubler si une stratégie de lutte contre ces réseaux n'est pas dégagée en urgence !
Source : ''L'Expression''.