Lotfi Belaïd n'a pas mâché ses mots en déclarant, hier, qu'il ne se faisait guère d'illusion sur le sérieux avec lequel l'enquête sur le meurtre de son frère, le martyr Chokri Belaïd, est menée.

 

Désabusé, Lotfi Belaïd a expliqué, dimanche au 20 heures de la Wataniya 1, que la décision prise par le ministère de l'Intérieur de diffuser sur un réseau social les photos de six suspects qui seraient impliqués dans l'assassinat de son frère «n'est que d'une importance mineure».

Pour lui, ce sursaut du ministère est tardif et ne convainc pas. «Pourquoi ne l'avoir fait qu'aujourd'hui, s'interroge-t-il, avec un retard d'une cinquantaine de jours? Dès l'assassinat, nous avons demandé à ce que des portraits robot soient diffusés, pour que les citoyens tunisiens puissent aider à faire avancer l'enquête. Mais cette requête fut une lettre morte et personne n'a voulu répondre à notre demande», ajoute-t-il.

Amer, Lotfi Belaïd tire sa conclusion: «Tout simplement, il s'agit d'une manœuvre qui n'a pour but que de dissiper la colère. Cette opération (de diffusion des portraits) ne représente qu'une réponse timide aux nombreuses pressions (auxquelles les autorités sont soumises). Non, cette attitude n'est pas sérieuse. Nous ne faisons pas confiance à cette initiative» du ministère.

Déterminé, le frère du martyr a également déclaré que la famille du défunt, son parti, ses compagnons de lutte et la majorité des Tunisiens souhaitent faire toute la lumière sur le crime du 6 février qui a emporté le secrétaire général et porte-parole du Mouvement des patriotes démocrates unifié (Watad). Et, pour cette raison, «les choses ne s'arrêteront pas là (...) Nous avons nos propres moyens pour dévoiler la vérité», menace-t-il.

Cette impatience et grande irritation des Belaïd, et de toute l'opinion tunisienne, sont légitimes car attendre une cinquantaine de jours pour mettre à la disposition du public les photos des suspects et des numéros de téléphone est, pour le moyen, une preuve d'incompétence notoire ou un aveu de faiblesse qui peut même pousser à accuser les autorités en charge du dossier de mauvaise volonté et, pire encore, de complicité.

Le meurtre de Chokri Belaïd n'est pas un assassinat du commun des mortels. Celui qui a exécuté l'acte sordide et ses complices doivent tous être traduits en la justice et punis. Et «les choses ne s'arrêteront pas là»: les personnes impliquées de près ou de loin dans ce crime devront être toutes jugées et toutes ces têtes devront tomber.

Les Tunisiens s'attendaient, peut-être naïvement, à plus d'audace et plus d'indépendance – la fameuse neutralité des ministères régaliens – de la part de Lotfi Ben Jeddou, le successeur d'Ali Lârayedh à la tête de l'Intérieur. Pour la majorité d'entre eux, par exemple, se séparer de Khaled Tarrouche, l'ancien porte-parole du ministère, ou changer les responsables de quelques directions sécuritaires ne suffit pas, car cela ne fera la véritable refonte de cet appareil de l'Etat à laquelle la Révolution du 14 janvier a droit et ne rassure pas sur la suite des évènements...

M. Ben Jeddou est toujours attendu sur un bon nombre de dossiers. Et la patience des Tunisiens a des limites.

Marwan Chahla