Dans son meeting de dimanche, à Tunis, auquel ont pris part la majorité des partis de l'opposition, le parti Al-Massar a appelé à l'union des démocrates progressistes «de Nida Tounes au Front populaire».
Par Yüsra N. M'hiri
Le parti Al-Massar (Voie Démocratique et Sociale) a tenu, dimanche 14 avril, un meeting populaire, au Palais des congrès de Tunis, réunissant un panel de partis politiques de centre-gauche, dans l'optique de créer un «front progressiste moderniste», nécessaire faire le poids face à la «troïka» actuellement au pouvoir.
La salle était comble, d'ailleurs le nombre de participant a dépassé les espérances et les prévisions des organisateurs, puisqu'il a fallu rajouter des chaises supplémentaires pour accueillir tout ce beau monde.
«Tous unis pour la Tunisie»
Al-Massar, au complet, représenté notamment par son porte-parole Samir Ettaieb, les députés Nadia Chaâbane, Fahdhel Moussa, Salma Baccar, et même Ahmed Brahim, le président du parti, qui revient d'une convalescence suite à des problèmes de santé.
«Basma, on ne te lâchera pas !», lance Mohamed Kilani à la veuve de Chokri Belaïd.
Quant aux invités, qui étaient venus en bon nombre. On a noté la présence de Nida Tounes, représentée par son secrétaire exécutif Ridha Belhaj et Rafaâ Ben Achour, membre du bureau politique, Iyad Dahmani et Saïd Aïdi, dirigeants du Parti Républicain (Al-Jomhouri), Mohamed Kilani, leader du Parti socialiste. Mais aussi le Front populaire, représenté par Ahmed Seddik, du parti Attaliâa, aux côtés de Basma Khalfaoui, veuve de Chokri Belaïd, ainsi que Zied Lakhdhar, secrétaire général du Watad.
L'ambiance était déjà bien «chaude et festive» alors que les dirigeants des différents partis essayaient de prendre place. Mais lorsque Basma Khalfaoui, accompagnée du frère du défunt martyr, Abdelmajid Belaïd et des dirigeants du Front populaire, sont entrés dans la salle, ils ont été accompagnés jusqu'à leurs sièges par un tonnerre d'applaudissements. Aux cris de «Ghannouchi assassin» et «Le peuple veut savoir qui a tué Belaïd».
Avant que les dirigeant(e)s politiques ne prennent la parole, un groupe de jeunes musiciens a entamé le «show», interprétant des chansons de la Palestinienne Oumeima El Khalil et de l'Egyptien Saied Derouich. Basma Khalfaoui (visiblement «la star» du meeting) a eu droit à une dédicace spéciale : une chanson de Georges Moustaki ''Ma liberté'', en mémoire de Chokri Belaid. La salle, émue, a retenu ses larmes. Les plus émus, Said Al Aïdi et Karima Souid ont repris les refrains... les yeux humides.
Jounaidi Abdeljawed a ensuite ouvert le bal, en demandant au public d'observer une minute de silence en mémoire de tous les martyrs de la révolution tunisienne et notamment de Chokri Belaïd. Dans son discours, le dirigeant d'Al-Massar a insisté sur l'union des forces démocratiques, qui doivent dépasser les points de «différences» et avancer dans cette phase avec le seul dessein commun de sauver le pays.
Pour une union de la gauche progressiste face au projet obscurantiste d'Ennahdha.
Les personnalités politiques présents se sont succédé à la tribune: Saïd El Aïdi, Mohamed Kilani, Zied Lakhdhar, Ahmed Seddik, Basma Khalfaoui, Mohamed Hamdi, de l'Alliance démocratique. Beaucoup de discours, certes, mais un seul mot d'ordre «Tous unis pour la Tunisie» adressé à un public qui scandait, de temps en temps, «Emploi, liberté, dignité nationale», comme pour signifier que les priorités des Tunisiens ne sont pas celles du parti islamiste Ennahdha au pouvoir : identité arabo-musulmane, chariâ, polygamie, et tutti-quanti
Le Front populaire rejoindra-t-il l'Union pour la Tunisie?
Le secrétaire général du Parti socialiste, Mohamed Kilani, a invité le Front populaire à vaincre son scepticisme et à s'unir aux autres partis de centre gauche, par allusion à l'Union pour la Tunisie qui regroupe plusieurs partis de tendance démocrate et progressiste. «La Tunisie a aujourd'hui besoin d'hommes politiques expérimentés, de partis forts, unis et solidaires», a-t-il dit, puis, s'adressant à la veuve de Chokri Belaïd, il lança: «Basma, on ne te lâchera pas !»
Ahmed Seddik explique qu'il est important de travailler autour d'un programme clair afin de renforcer les points communs des différents partis. «Ce qui unit les forces démocratiques est plus important que ce qui les sépare», conclue-t-il, dans une même veine unioniste. Est-ce là la position officielle du Front populaire qui, jusque là, a tenu à maintenir une distance critique vis-à-vis de l'Appel de la Tunisie? A cette question de Kapitalis, M. Seddik a répondu qu'il exprime sa position personnelle. Mais où est Hamma Hammami, grand absent de la journée. Réponse de M. Seddik: «Il est en Italie où il présidera un meeting de la coordination du Front populaire dans ce pays».
'Ne jamais lâcher prise''.
Basma Belaïd, qui a pris ensuite la parole, n'a pas mâché ses mots à l'égard des dirigeants d'Ennahdha «Ces gens là, et Chokri insistait pour que je les appelle ainsi, n'ont pas lieu d'être. C'est une mafia : plus ils mettent du temps dans l'enquête du meurtre de mon mari, plus ils prouvent qu'ils ont quelque chose à cacher.»
Mme Belaïd a également appelé à l'union de tous les partis progressistes partis (traduire : pour faire face à Ennahdha): «On se mobilise tous pour la Tunisie et nous les vaincrons», a-t-elle conclu. Le public, ému, lui a réservé une «standing ovation».
Samir Bettaieb, plus optimiste que jamais
C'est entouré de jeunes militants d'Al Massar que Samir Bettaieb a fait son entrée sur scène, dans une sorte de show politique à l'américaine. Sous les applaudissements nourris de la salle.
Le premier point qu'il évoque c'est la dissolution des Ligues de protection de la révolution (LPR), qui sont, selon ses termes, des «Ligues de protection d'Ennahdha». Il enfonce le clou: «Ce sont des voyous, des vendeurs de ''zatla'' (drogue, Ndlr). Est-ce avec des gens pareils que le gouvernement espère protéger la révolution?», s'interroge-t-il, sur un ton moqueur.
M. Bettaieb, appelle lui aussi, avec insistance à l'union des partis progressistes, pour créer un front solide et capable de faire le poids face à Ennahdha, pour une Tunisie meilleure. Il reprend, à ce propos, la phrase d'Ahmed Seddik: «Ce qui nous rassemble est bien plus important que ce qui nous divise!»
Evoquant ensuite la situation difficile de l'économie nationale (chômage, inflation, endettement public, faiblesse de l'investissement...), M. Ettaïeb plaide, entre autres propositions, pour une souscription nationale, où chaque citoyen apportera sa contribution selon ses moyens, en vue de constituer un fonds qui serait dédié aux projets dans les régions défavorisées (agriculture, infrastructure, éducation...)
Nadia Chaâbane, Saïd El Aïdi et Rafaâ Ben Achour.
Revenant sur la question l'inflation et sur la cherté de la vie, le porte-parole d'Al-Massar rappelle les Smic tunisien (250 dinars) et français 1.000 € (environ 2000 dinars), avant de faire cette comparaison: «Un Français achète son kg de pommes de terre à 1€, le tunisien paye la même somme, alors qu'il gagne 8 fois moins.» Et de conclure : «Un gouvernement qui met le pays dans une pareille situation n'est pas capable de mener à bien la mission qui lui a été confiée et n'a plus de raison, d'être».
Il y eut ensuite un autre moment d'émotion intense, lorsqu'il a évoqué le souvenir de Chokri Belaid: «Lors de ma dernière rencontre avec Chokri, il m'a dit : ''Fais attention à toi Samir''... Chokri est parti et moi je suis encore là! Je me dois de tenir la promesse qu'il a faite aux Tunisiens: ''Ne jamais lâcher prise''».
Samir Ettaieb, la voix étranglée et les yeux larmoyants, est écrasé, lui aussi, par le poids de l'émotion. La salle retient son souffle...
Il est des moments où l'histoire aussi retient son souffle, lorsque l'action des hommes se confond à la vérité profonde de leur être.