Les récentes déclarations de dirigeants politiques de premier plan dénotent une indécence révoltante et un mépris pour les Tunisiens, qui n'acceptent plus que l'on insulte leur intelligence.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Ces derniers jours, une série de déclarations de responsables politiques de premier plan a particulièrement retenu l'attention de l'opinion publique. Le point commun à ces divers propos, les uns plus consternants que les autres et souvent tenus par des personnages officiels, c'est leur inconvenance choquante et leur indécence révoltante. Au point que l'on pourrait, éventuellement, douter de leur véracité parfois. Livrons-les donc ici avec les précautions d'usage.
Les propos indécents de Sahbi Atig
Comment qualifier autrement que d'inconvenance choquante et d'indécence révoltante les propos attribués au président du groupe d'Ennahdha à l'Assemblée nationale constituante (Anc) qui aurait menacé de limogeage l'actuel ministre de l'Intérieur, le magistrat indépendant Lotfi Ben Jeddou, suite au décès par balle d'un jeune salafiste lors de l'attaque d'un poste de la Garde nationale à Hergla dans la soirée du jeudi 11 avril?
Sahbi Atig va ici plus loin que Majlis Choura, haute instance du parti conservateur religieux qui avait seulement (!) exigé, il y a quelques mois, la libération pure et simple des militants nahdhaouis et autres membres des prétendues Ligues de protection de la révolution (LPR) accusés par la justice de complicité dans le meurtre à Tataouine, en octobre dernier, de feu Lotfi Nagdh, représentant du parti Nida Tounes dans la région.
Comment un honorable député de la nation peut-il défendre des émeutiers qui se sont attaqués aux agents de l'État afin de soustraire à la justice un fauteur de troubles arrêté pour avoir commis plusieurs forfaits, violemment porté atteinte à la paix civile et usurpé les prérogatives des forces de l'ordre auxquelles il a cru bon de se substituer?
L'honorable représentant a-t-il oublié les graves menaces allant jusqu'à l'amputation et même la crucifixion que Sadok Chourou, député d'Ennahdha, avait promises aux grévistes, sit-inneurs et autres demandeurs d'emploi? Il est vrai que ces derniers ne sont pas du genre salafiste cher au cœur de M. Ghannouchi, alors que le jeune mort de Hergla l'était!
Au fait, avez-vous souvenir d'une quelconque protestation ou d'une simple critique de la part de M. Atig quand des manifestants ont été poursuivis comme du gibier par des balles de chevrotine à Siliana?
Il est vrai aussi que le ministre de l'Intérieur, responsable dans cette affaire de la perte de la vue de quelques jeunes protestataires, était alors un grand dignitaire d'Ennahdha à qui tout était d'avance pardonné même s'il lui arrive de se tromper de stratégie comme lors de l'indigne et outrageuse attaque de l'ambassade américaine, en septembre 2012.
Ali Lârayedh décrète clos le dossier des agressions subies par les pacifiques manifestants du 9 avril 2012.
Ali Lârayedh vole au secours d'une milice violente
Inconvenance choquante et indécence révoltante encore pour qualifier le refus de l'actuel locataire de la Kasbah de donner positivement suite aux convocations que lui a adressées le juge chargé de l'affaire de Chokri Belaïd. Si le chef du gouvernement Ali Lârayedh ne donne pas l'exemple du respect des lois de la république comment reprocher le même comportement incivique aux simples citoyens tentés eux aussi de transgresser la loi?
Inconvenance choquante et indécence révoltante encore pour qualifier de nouveau les propos de qui ont été sauvagement tabassés par la police ainsi que par des milices violentes nouvellement apparues sur la scène politique. Par là, le premier responsable de l'exécutif outrepasse ses prérogatives et empiète sur celles de l'Anc qui avait officiellement formé une commission pour enquêter sur ces dépassements et sur les auteurs de ces bavures.
Le chef du gouvernement se mêle-t-il ici de ce qui ne le regarde pas par inexpérience seulement ou bien, plus grave encore, faudrait-il suspecter, plutôt, un acte politique délibéré?
Dans le but de brouiller davantage les cartes? N'apporte-t-il pas par là un soutien de taille à cette police parallèle que l'on crédite du soutien indéfectible du parti Ennahdha dont elle apparaît comme le bras armé? Ce soutien n'apparaît-il pas encore au grand jour avec le refus du gouvernement de tenir compte des preuves patentes de l'implication de cette milice dans les violences exercées sur les syndicalistes le 4 décembre 2012 devant le siège de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt)? En refusant de condamner les auteurs de cette agression caractérisée, le gouvernement ne devient-il pas le complice de cette milice dite de protection de la révolution? Pour quelles autres occasions Ennahdha se réserve-t-il les services de ces fauteurs de troubles pour ainsi dire patentés? Contre qui sinon contre des Tunisiens ces derniers lanceront-ils leurs prochains assauts? Comment organiser une campagne électorale avec des voix forcément différentes alors que certains délinquants notoires secrètement rémunérés tiennent le haut du pavé et paradent sans avoir à se cacher dans nombre de nos cités?
Moncef Marzouki prophétise l'installation de gibets et de la guillotine pour «les laïques extrémistes».
L'injure à l'intelligence des Tunisiens
Inconvenance choquante et indécence révoltante encore pour qualifier les propos du premier responsable du parti Ettahrir qui nous promet que tous les moyens, y compris ceux violents, seront utilisés afin d'empêcher Nida Tounes d'accéder au pouvoir au cas où ce parti gagnerait les prochaines élections.
Plus révoltants et choquants encore, si cela était possible, le silence des autorités officielles et l'absence de toute poursuite à l'encontre de l'auteur de cet appel à l'insurrection et à la remise en question du choix démocratique du peuple! Qui remettra ce genre d'énergumènes à leur place et les empêchera de vicier davantage encore l'atmosphère politique? Si l'État ne le fait pas, ne nous condamne-t-il pas, à dessein ou par passivité, à la guerre civile?
Inconvenance choquante et indécence révoltante encore pour qualifier la déclaration proprement inqualifiable du chef provisoire de la république qui prophétise l'installation de gibets et de la guillotine pour «les laïques extrémistes» en cas d'échec de la Troïka aux futures élections! Et celui qui ne craint pas de se donner le titre de «sage», et de l'attribuer aussi généreusement à ses acolytes aujourd'hui au pouvoir, de nous promettre que, bientôt, nous regretterons son départ tout autant que ceux de MM. Ben Jaâfar et Ghannouchi! Faudrait-il rassurer notre président, heureusement provisoire, sur notre sort et lui rappeler que les cimetières sont remplis de personnages prétendument irremplaçables! Faudrait-il le convaincre également que le personnel politique tunisien ne manque pas de compétences susceptibles de prendre la lourde relève de la si malfaisante «troïka» au pouvoir?
Inconvenance choquante et indécence révoltante pourraient servir à qualifier bien d'autres déclarations encore. Comme celle des pharisiens et hypocrites qui règnent sur le ministère de l'Enseignement supérieur d'où ils appellent, à l'approche des examens, à gérer «avec souplesse», disent-ils, l'affaire des étudiantes niqabées. Ils se refusent, néanmoins, à statuer là-dessus ou à apporter le moindre soutien aux doyens malmenés par ces étudiantes comme ceux de la Faculté des Lettres de la Manouba et de la Faculté des Sciences de Tunis.
Les Tunisiens n'acceptent plus d'être payés de mots
Inconvenance choquante et indécence révoltante enfin, ou, plutôt, poudre aux yeux et injure à l'intelligence des Tunisiens que cet appel à aider la police à retrouver, photos à l'appui, les complices des assassins de feu Chokri Belaïd! Quelle belle preuve de l'avancement de cette enquête dont nos compatriotes ne cessent de réclamer l'aboutissement par l'arrestation non des seuls exécutants, mais également de leurs commanditaires et donneurs d'ordre! Après plus de deux mois de traque et de poursuites ne nous présenter que les portraits des gros bras et exécutants des basses-œuvres impliqués dans ce crime, c'est proprement se moquer du monde! Cette grossière manœuvre trompera-t-elle vraiment beaucoup de monde? Il est difficile de penser qu'en haut-lieu l'on puisse croire que nous serons si aisément dupés !
Manifestement, nos gouvernants ont encore beaucoup à apprendre sur le plan de la communication! Ou, plus exactement, ils ont intérêt à se pénétrer davantage du nouveau comportement du Tunisien depuis un certain 14 janvier et, principalement, à prendre au sérieux son exigence toute nouvelle de ne plus être payé de mots. Comme ils ont intérêt à ne pas négliger son refus de prendre, désormais, pour argent comptant les paroles des officiels souvent sujettes à caution où il ne voit que poudre aux yeux et qui ne sont, fréquemment, qu'inconvenance choquante et indécence révoltante.
* Universitaire.