Une fois n'est pas coutume, policiers et citoyens, unis et solidaires, se sont rassemblés, jeudi, devant l'Assemblée pour dire non au terrorisme et rappeler le gouvernement à ses responsabilités face à cette grave menace.
Par Yüsra N. M'hiri
Plusieurs centaines de personnes ont répondu à l'appel du rassemblement de solidarité avec l'Union nationale des syndicats des forces de la sécurité, tenue aujourd'hui devant le siège de l'Assemblé nationale constituante (Anc), au Bardo.
On comptait quasiment autant de policiers que de citoyens, tous venus revendiquer l'amélioration de la situation sociale des policiers, l'institution d'une police républicaine et son inscription dans le texte de la constitution en cours de rédaction, ainsi qu'une prime de risque «respectable».
Hamma Hammami accueilli par la foule des manifestants.
Le spectre du scénario algérien
Mais le mot d'ordre, celui qui a réuni tous les participants et raisonnait d'un écho assourdissant, c'était la lutte contre le terrorisme, qui commence à prendre racine dans le pays. «Tous Unis pour la Tunisie», criaient en chœur (et du fond du cœur) les manifestants.
«Nous devons rester unis, policiers et citoyens; nous vous tendons une main. Ensemble, nous ferons le poids contre les terroristes réfugiés à Jebel Châmbi et dans les zones montagneuses à la frontière tuniso-algérienne... Notre silence les incitera à aller jusque dans les villes et un scénario à l'Algérienne nous attend. Nous devons nous en protéger», explique à Kapitalis Larbi, un agent de police venu manifester, lui aussi, avec ses collègues. Il fait ici allusion aux actes terroristes commis par les extrémistes religieux durant les «années de braise» (1991-2000) en Algérie.
Jawher Ben Mbarek (à droite) est venu soutenir les agents de l'ordre.
Une citoyenne renchérit: «La police tunisienne a une mauvaise image auprès du citoyen. Elle est parfois justifiée ne serait-ce qu'à cause de la répression dont les agents usaient au temps de Ben Ali... Mais aujourd'hui, c'est une nouvelle page qui commence; nous leur pardonnons, car ils ont besoin de nous et nous avons besoin d'eux... Face au terrorisme menaçant, il nous faut des hommes capables de se battre et c'est le cas des forces de l'ordre. Nous devons donc les soutenir.»
Quelques citoyens, emportés par la ferveur de la manifestation (la chaleur aidant, il devait faire 30 degrés) ont essayé de forcer la porte extérieure de l'Anc, mais les policiers se sont interposés et leur ont demandé de ne pas le faire, car la violence ne doit pas être un moyen pour revendiquer un droit.
Certains dirigeants politiques ont tenu à prendre part au rassemblement pour exprimer leur solidarité avec les agents de l'ordre, notamment Noureddine Ben Ticha et Ibrahim Kassas de Nida Tounes, Jawher Ben Mbarek du réseau Doustourna, Zied Lakhdhar et Hamma Hammami du Front populaire. Ce dernier a été accueilli par des youyous et fortement acclamé.
«Lorsqu'il a fallu que nous prenions position contre les policiers et leur répression, nous l'avons fait. Par acquit de conscience, lorsqu'il faut les soutenir, nous le faisons aussi. Les policiers doivent être protégés, car ce sont, eux aussi, des citoyens tunisiens et il faut qu'on prenne soin d'eux. Surtout que la menace terroriste est bien là, aujourd'hui, en Tunisie, et que nous ne devons pas nous laisser faire», explique Hamma Hammami.
Les agents de l'ordre ne veulent plus des instructions: ils exigent une refonte de leur institution afin qu'elle devienne une police républicaine au service des citoyens.
Un message adressée aux jihadistes
Alors que la manifestation se déroulait normalement, un homme à vélo, habillé de qamis et portant une barbe imposante, s'est mis à crier : «Hey les ''taghout'' (despotes, Ndlr), allez voir ailleurs si j'y suis, vous n'êtes que des minables, des gourous de Ben Ali, RCD dégage!». Il a ensuite insulté les manifestants en utilisant des mots trop grossiers pour être rapportés ici. Un groupe de citoyens, qui n'ont pas supporté cette offense, lui ont couru après et ont réussi à l'intercepter un peu plus loin. Ils l'ont tabassé, avant que la police ne vienne le «sauver» d'un massacre.
"Nous soutenons la police et l'armée tunisiennes dans leur guerre contre le terrorisme wahhabite".
Cette scène est certainement une première en Tunisie : on y voit la police et les citoyens solidaires et unis pour combattre un extrémisme qui n'est ni dans nos mœurs ni dans notre religion. La Tunisie a toujours prôné un islam modéré, loin des mines, des bombes et des attentats. Et la manifestation d'aujourd'hui était essentiellement un message adressée aux jihadistes de Jebel Châmbi et d'ailleurs, à qui tous les participants ont crié : «No pasaràn!».