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La poignée de main chaleureuse de Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, lors du forum économique de l'Utica, samedi, au siège de la centrale patronale, n'a pas fini de susciter les réactions les plus contradictoires.

Par Imed Bahri

Entre le chef du parti islamiste Ennahdha, au pouvoir, et celui de Nida Tounes, chef de file de l'opposition, les relations ont toujours été, il est vrai, assez conflictuelles. Les deux hommes, qui se détestent cordialement, n'ont d'ailleurs jamais fait mystère de leur sentiment d'aversion réciproque.

Deux vieux de la vieille

Ainsi, Rached Ghannouchi ne cesse d'appeler à l'exclusion de Nida Tounes de la scène politique, au prétexte qu'il est un mouvement qui regroupe des Destouriens et des Rcdistes, issus de l'ancien régime. Ce qui est sinon inexact du moins exagéré. Ennahdha avait même refusé de prendre part au dialogue national organisé par l'Ugtt, la centrale syndicale, du 16 au 18 octobre dernier, au prétexte que Nida Tounes y participe.

Le parti islamiste, qui voit d'un mauvais œil la montée irrésistible de Caïd Essebsi et Nida Tounes dans les sondages, soutient, par ailleurs, un projet de loi dit de «tahsin ethawra» (consolidation de la révolution), présenté par l'un de ses alliés, le Congrès pour la république (CpR), et qui vise à priver de participation à la vie politique toute personne ayant eu des responsabilités dans le gouvernement et l'ex-parti au pouvoir sous le règne de Ben Ali. Cette loi vise, on l'a compris, à empêcher Béji Caïd Essebsi, ancien ministre sous Bourguiba et président du parlement sous Ben Ali, de briguer la présidence de la république lors des prochaines élections.

Bien qu'ils s'opposent radicalement à Ennahdha et au gouvernement qu'il contrôle, Béji Caïd Essebsi et Nida Tounes ont, en revanche, toujours appelé à ce que toutes les tendances politiques dans le pays puissent s'exprimer librement et participent au débat national en cours, sans ségrégation ni exclusion. «Ennahdha est un parti élu et il est de son droit de gouverner, mais il n'a pas le droit d'exclure les autres partis, quels qu'ils soient» : voilà en résumé la doctrine de Nida Tounes et de son leader à ce sujet.

L'art de sauver les apparences

C'est, donc, pour toutes ces raisons, que la poignée de main chaleureuse de Caïd Essebsi et Ghannouchi, samedi, sous l'œil surpris et amusé des hommes d'affaires, a suscité une avalanche de commentaires et de réactions les plus contradictoires.

Cette poignée de main a aussi choqué beaucoup de Tunisiens, qui conçoivent la vie politique comme un combat de catch où tous les coups sont permis. Ce qui n'est pas, on l'imagine, la conception qu'en ont les deux protagonistes : deux vieux de la vieille, qui savent se jauger à distance, échanger des noms d'oiseaux à l'occasion ou se permettre de chaleureuses salutations en public, sans rien céder sur l'essentiel, mais tout en sauvant les apparences et en préservant les conditions d'un dialogue possible, car nécessaire.