assemblee 14 3Human Rights Watch (HRW) a publié aujourd'hui une longue analyse du document que préparent, depuis plus d'un an et demi, nos constituants. L'organisation non-gouvernementale internationale y trouve de nombreuses ambiguïtés, failles, lacunes, faiblesses, etc.

Tant d'aspects négatifs inquiétants qui contredisent cette déclaration de Mustapha Ben Jaâfar, président de l'Assemblée nationale constituante (Anc), il y a moins d'un mois, que «la future constitution tunisienne sera une des meilleures au monde».

Nous reproduisons, ici, un extrait de cette analyse de HRW et les recommandations faites par l'Ong, sur son site...

L'Anc devrait modifier les articles du nouveau projet de constitution qui menacent les droits humains. HRW a analysé ce projet afin d'identifier les sources de préoccupation relatives aux droits humains.

Oui, mais...

Parmi les articles, ou les lacunes, qui suscitent le plus d'inquiétude, figurent: une disposition qui ne reconnaît les droits humains universels que tant qu'ils coïncident avec «les spécificités culturelles du peuple tunisien», le fait que la constitution n'affirme pas la liberté de pensée et de conscience, et la formulation trop vague concernant les limites qu'il est acceptable d'imposer à la liberté d'expression. En outre, le texte n'énonce pas clairement que les conventions sur les droits humains déjà ratifiées par la Tunisie engagent bien le pays et l'ensemble de ses autorités.

«L'Assemblée nationale constituante devrait combler les lacunes du projet de constitution qui pourraient permettre à un futur gouvernement de réprimer toute forme de dissidence ou de restreindre les droits fondamentaux pour lesquels les Tunisiens ont livré un dur combat», a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW.

L'assemblée a présenté une troisième version de la proposition de constitution le 25 avril 2013, après avoir discuté et revu deux versions précédentes, présentées en août et décembre 2012. L'assemblée doit commencer à voter la constitution en séance plénière au courant du mois de mai.

La dernière version défend de nombreux droits fondamentaux, qu'ils soient civils, politiques, sociaux, économiques ou culturels, et comprend des améliorations par rapport aux textes précédents. Cependant, elle contient aussi plusieurs articles incompatibles avec les obligations de la Tunisie en termes de droits humains qui découlent des traités internationaux, et qui pourraient compromettre la protection de ces droits, a constaté HRW.

L'article 21, qui énonce que «les conventions internationales dûment ratifiées par le Parlement ont un statut supérieur à la loi et inférieur à la constitution», crée le risque que la constitution soit utilisée pour passer outre ou amoindrir la protection de certains droits fondamentaux garantis par certains traités que la Tunisie a déjà ratifiés.

Selon l'un des principes de base du droit international, tout pays doit s'assurer que sa propre constitution est compatible avec ses obligations en vertu de traités qu'il a ratifiés. L'assemblée constituante doit inclure dans sa constitution une disposition reconnaissant que les droits humains garantis dans les traités internationaux ratifiés par la Tunisie s'appliqueront directement et que la constitution et la loi seront interprétées conformément à eux.

«Les Tunisiens ont été les pionniers de la région»

Les autres dispositions suscitant l'inquiétude sont:

. le préambule, qui fait reposer les fondements de la constitution sur «les principes des droits humains universels en concordance avec les spécificités culturelles du peuple tunisien». Cette phrase donne une marge de manœuvre aux législateurs et aux juges pour s'éloigner des normes internationales relatives aux droits fondamentaux;

. l'article 5, qui déclare que «l'État garantit la liberté de croyance et de culte religieux» mais ne mentionne pas la liberté de pensée et de conscience, y compris le droit de changer de religion ou de devenir athée. Les droits humains seraient mieux protégés par une garantie explicite de la liberté de pensée et de conscience;

. une définition insuffisante des limites acceptables à imposer à la liberté d'expression, d'assemblée et d'association: plusieurs articles du troisième projet de constitution définissent la portée de la liberté d'expression, d'assemblée et d'association en permettant au corps législatif d'adopter des lois qui restreignent ces droits, mais sans présenter clairement les limites des restrictions;

. et une disposition discriminatoire qui prévoit que seul(e) un(e) musulman(e) peut devenir président(e) de la République.

Cette disposition contredit l'article 6, selon lequel «tous les citoyens sont égaux en droits et en devoirs devant la loi, sans aucune discrimination». En outre, le projet de constitution continue à restreindre l'égale protection de la loi aux seuls citoyens de Tunisie.

L'assemblée votera séparément sur chaque article, dont l'adoption requerra une majorité simple, selon les règles qu'elle s'est fixées pour le processus. Puis l'assemblée devra approuver le texte intégral lors d'un vote séparé. (...)

L'Anc devrait effectuer un certain nombre de révisions sur le texte actuel pour consolider la protection des droits et combler les failles juridiques, a déclaré HRW.

«L'assemblée devait s'attaquer à ces dispositions troublantes dès maintenant, avant que la constitution ne soit définitivement adoptée», a conclu Eric Goldstein. «Les Tunisiens ont été les pionniers de la région en insistant sur le respect de leurs droits fondamentaux, et ils ne devraient pas permettre que ces droits leur échappent aujourd'hui.» 

Les références à l'islam méritent d'être précisées

L'Anc devrait effectuer un certain nombre de révisions de la version actuelle de la constitution afin de consolider la protection des droits et de combler les failles juridiques, a déclaré HRW.

Elle devrait inclure une clause générale introduisant directement dans la loi tunisienne les droits humains tels que définis par les traités internationaux ratifiés par la Tunisie, notamment par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples; et par le droit international coutumier. Ces traités, de même que le droit coutumier, devraient faire partie intégrante de la loi tunisienne en vertu de la nouvelle constitution. (...)

Elle devrait inclure une proclamation de la liberté de religion, de pensée et de conscience, et affirmer que celle-ci engobe la liberté de changer de religion ou de croyance, de pratiquer en public et en privé n'importe quelle religion à travers le culte, l'accomplissement de rites ou les coutumes, ou encore le droit de ne pratiquer aucune religion.

Elle devrait affirmer clairement que la mention de l'Islam comme religion d'État ou bien les références à l'Islam dans le préambule ne doivent pas être interprétées de façon à aller à l'encontre des droits et des libertés exposés dans la constitution ou des conventions internationales sur les droits humains ratifiées par la Tunisie, ni ne devraient déboucher sur une discrimination visant les adeptes d'autres religions ou les non-croyants.

Elle devrait inclure une clause générale énonçant que les droits et libertés proclamés par la constitution ne peuvent être restreints que lorsque ces restrictions sont permises par le droit international, c'est-à-dire lorsque:

. elles sont définies par un texte de loi clair;

. elles sont justifiées par un motif mentionné par un traité sur les droits humains comme une raison acceptable de limiter ce droit en particulier;

. elles sont raisonnables et justifiables dans une société ouverte et démocratique basée sur la dignité humaine, l'égalité et la liberté;

. elles ne sont pas discriminatoires, directement ou indirectement (...).

Elle devrait éliminer le projet de disposition qui crée une discrimination entre citoyens en exigeant que le président de la république soit musulman.

Elle devrait proclamer que tous les citoyens et personnes présentes sur le territoire ou soumises à la juridiction tunisienne jouissent d'une égalité devant la loi, sans discrimination d'aucune sorte, que ce soit par rapport à l'origine ethnique, la couleur de peau, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, le statut de propriété, de naissance ou tout autre statut; etc.

La constitution devrait inclure une disposition précisant que les femmes et les hommes sont reconnus comme égaux, qu'ils ont droit à la pleine égalité dans la loi et dans les pratiques, ainsi qu'à des opportunités égales dans tous les domaines de la vie, notamment sans aucune limite dans les sphères civique, culturelle, économique, politique et sociale.

* Les intertitres sont de la rédaction.

** Le texte intégral de cette analyse est accessible sur le site de Human Rights Watch www.hrw.org en arabe, français et anglais.