Investi le 13 mars 2013, l'actuel ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, est aujourd'hui et sans équivoque l'homme de l'actualité dans toute sa complexité. Et il s'en sort plutôt à son avantage.
Par Hatem Mliki
L'ancien juge d'instruction de Kasserine est un précédent dans l'histoire du ministère le plus controversé en Tunisie. Alors que sous Bourguiba et Ben Ali, ce poste à été attribué à des «hommes de confiance», la Tunisie postrévolutionnaire a connu dans un premier temps la nomination inattendue et plutôt folklorique du magistrat Farhat Rajhi, qui a vite cédé sa place à Habib Essid, présenté comme étant le choix de raison en faveur du principe de la continuité des institutions de l'Etat cher à Béji Caïd Essebsi.
Une personnalité neutre
Suite à l'ascension au pouvoir de la Troïka, menée par Ennahdha, ce poste à été attribué à nouveau à «l'homme de confiance» de Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, et actuel chef du gouvernement, dont le parti-pris et l'incapacité de se dissocier du quartier général de son parti ont fini par donner raison à ses détracteurs réclamant sans cesse la nomination d'une personnalité neutre en vue d'assurer plus de transparence de l'appareil sécuritaire.
Admiré par les jeunes de Kasserine, apprécié par ses collègues au ministère de la Justice et inconnu pour une grande partie des Tunisiens, Lotfi Ben Jeddou s'est trouvé, aussitôt, sur un terrain plus que miné!!!
L'homme à la cinquantaine doit «composer» avec des policiers désormais syndicalisés et mieux organisés réclamant un retour en force sous le signe de la police républicaine et la suprématie de la loi, mais, dit-on, infiltré au plus haut niveau par Ennahdha et dont l'adhésion aux valeurs démocratiques n'est pas encore prouvée pour le moment.
Dans les tiroirs de son bureau à l'avenue Bourguiba, le ministre a également hérité l'épineux dossier de l'assassinat de l'opposant Chokri Belaid qu'il doit gérer avoir doigté. M. Ben Jeddou sait pertinemment qu'il s'agit là de l'épreuve suprême de transparence à laquelle il doit faire face et que les propos avancés par le Front populaire accusant Ennahdha d'être associé, directement ou indirectement, à ce crime vont continuer à empoisonner l'atmosphère dans le pays dès lors que l'affaire n'est pas encore intégralement élucidée.
Face à la montée des groupes salafistes
Par ailleurs, le ministre se trouve confronté à la montée des groupes salafistes passés désormais à l'action et qui menacent de faire la guerre à son département qu'il considère ouvertement comme leur principal ennemi.
Sur ce sujet, le ministre est à nouveau condamné à composer avec le «chantage» de son département, la perplexité voire l'hypocrisie de son gouvernement, les caprices de l'opposition nourris par des calculs politiciens à court terme, l'adolescence d'une société civile perdue entre condamnation du terrorisme et amour fou des droits de l'homme et une population complètement désorientée et engagée dans une guerre «facebookienne» sans merci et sans issue.
Décidement, la nature ne peut pas être «plus généreuse» avec Lotfi Ben Jeddou qui, curieusement d'ailleurs, demeure jusqu'ici inébranlable et sûr de lui. Mieux encore : le ministre ne fait que renforcer son crédit de confiance chaque fois que son ministère doit faire face à une nouvelle épreuve délicate. Finies les apparitions télévisées d'un Ali Lârayedh sollicitant désespérément la sympathie des Tunisiens le soir de chaque gaffe commise par son département, les déclarations précipitées d'un porte-parole aussi impliqué que son chef, les interventions musclées des policiers à l'encontre des manifestants venus s'opposer pacifiquement au gouvernement et les propos violents des syndicats des forces de l'ordre à l'encontre de leur ministre. Ce dernier a même pris le soin de se concerter avec l'ensemble de la classe politique avant de prendre la décision, lourde de conséquence, d'interdire la manifestation salafiste du 19 mai 2013 à Kairouan.
Le cavalier des «Frachiches».
Il est ainsi évident que «l'approche Ben Jeddou» est très différente de celles de ses prédécesseurs. Mais il faut aussi avouer qu'on est toujours au stade de la forme même si certaines avancées de fond sont engagées et commencent à faire preuve sur le terrain surtout en matière de déploiement des forces de l'ordre après les menaces terroristes de plus en plus visibles.
En effet, il est prématuré de faire le bilan du ministre en poste depuis seulement deux mois, surtout que toutes les menaces qui pèsent sur son ministère demeurent présentes.
A ce stade on est seulement redevable de la présomption de bonne foi à celui qui a fait usage, pendant des années et apparemment de manière remarquable, de la présomption d'innocence.
Mais, par ailleurs et quel que soit le sort réservé à Lotfi Ben Jeddou, n'est-il pas lâche de la part du gouvernement et de la classe politique d'abandonner ce cavalier des «Frachiches» (ancienne tribu du nord-ouest tunisien, Ndlr) seul face aux dangers qui nous traquent tous?