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L'exercice du pouvoir n'est pas une sinécure. Le parti Ennahdha en fait l'expérience à ses dépens, en laissant éclater au grand jour ses divisions, longtemps masquées par une unité de façade. Il va falloir désormais compter les fissures et les désertions...

Par Imed Bahri

Il y a quelques jours, Hamadi Jebali, ex-chef du gouvernement et secrétaire général du parti islamiste Ennahdha, a déclaré, dans une interview à la chaîne ''Al-Arabia'', que s'il devait être candidat à la prochaine élection présidentielle, il ne serait pas celui d'Ennahdha. Le message codé était, on l'imagine, adressé à ses «frères» de combat, qui en ont sans doute saisi le sens caché. Mais quel que soit ce sens caché, la déclaration de M. Jebali exprime un fort besoin chez l'ancien chef du gouvernement de se démarquer de son parti et/ou de le secouer de la torpeur où l'a plongé l'exercice du pouvoir.

En d'autres termes, M. Jebali, qui sent avoir pris une dimension nationale, estime qu'Ennahdha doit changer, et d'abord se débarrassant de son passé dogmatique et violent, représenté aujourd'hui par son aile dure, animée par des ressentiments de haine et de vengeance.

De Jebali à Chourou, tout un spectre de couleurs

Après les réserves exprimées par le centriste Hamadi Jebali vis-à-vis de certaines positions de son parti, notamment en ce qui concerne le fameux projet de loi dit de «renforcement de la révolution», qu'il n'estime pas utile ni bénéfique pour Ennahdha, voilà qu'à l'extrême droite du parti, le député Sadok Chourou, sort lui aussi de sa réserve, et déclare, au cours d'une séance plénière de dialogue avec le gouvernement sur la situation financière dans le pays, jeudi à l'Assemblée nationale constituante (Anc), que le Fonds monétaire international (FMI), qui s'apprête à accorder un prêt à la Tunisie, «ne met pas seulement des conditions économiques, mais impose également des conditions culturelles et politiques».

M. Chourou souligne, par ailleurs, la coïncidence entre la négociation du gouvernement d'un prêt avec le FMI et les événements survenus dimanche à la Cité Ettadhamen à Tunis et à Kairouan, où les forces de l'ordre ont mâté par la force des partisans d'Ansar Al-Chariâ, qui voulaient organiser un rassemblement interdit. Selon lui, la guerre déclarée aux salafistes jihadistes serait dictée par les partenaires occidentaux de la Tunisie comme un gage de bonne conduite de la part d'Ennahdha.

M. Chourou, qui est proche des salafistes jihadistes et particulièrement d'Ansar Al-Chariâ, est allé encore plus loin en ajoutant ceci: «L'histoire se répète. Hier, le FMI a imposé à l'ancien régime l'exclusion d'Ennahdha de la scène politique et culturelle et il impose aujourd'hui à Ennahdha l'exclusion d'Ansar Al-Chariâ».

Le vieux leader d'Ennahdha n'a pas totalement tort, il est vrai, sauf sur un point : cette guerre contre Ansar Al-Chariâ n'est pas dictée par le FMI, ou par quelque partenaire occidental, mais par la situation politique et économique dans le pays, qui ne pourrait plus supporter les désordres provoqués par ce groupe extrémiste.

Ghannouchi-Ben Ali c'est Haj Moussa-Moussa Haj

Sur un autre plan, la comparaison entre Ennahdha et le RCD (ex-parti au pouvoir) et, indirectement, entre Rached Ghannouchi et Zine El Abidine Ben Ali, l'ex-dictateur, qui plus est, de la part d'un dirigeant islamiste, est on ne peut plus hardi. Elle témoigne, en tout cas, d'un malaise au sein d'Ennahdha qui n'arrive pas à tenir le grand écart entre ses éléments modérés et centristes (Hamadi Jebali, Samir Dilou, Noureddine Bhiri...) et ses ultras, plutôt soucieux de garder de bonnes relations avec toute la mouvance islamiste, y compris les extrémistes d'Ansar Al-Chariâ et de Hizb Ettahrir (Habib Ellouze, Sadok Chourou, Abdellatif Mekki, Abdelkerim Harouni...)

Cette gymnastique, qui a permis à Ennahdha de gagner les élections du 23 octobre 2011, en gagnant les voix centristes et celles de l'extrême droite, ne semble plus fonctionner. Et pour cause : Ennahdha et son timonier ne peuvent plus continuer indéfiniment à donner un coup à gauche et un autre à droite au risque de perdre toute crédibilité. A trop vouloir contenter tout le monde, en roulant toute le monde dans la farine (double langage, duplicité, ambiguïté, mensonge...), Ennahdha risque de mécontenter des plus sûrs alliés.