tunisie 5 30L'organisation non-gouvernementale Human Rights Watch (HRW) a adressé une lettre à l'Assemblée nationale constituante (Anc) dans laquelle elle exhorte les constituants à amender la loi antiterroriste de 2003.

 

Sous sa présente forme, cette loi représente une atteinte aux droits de l'Homme en Tunisie, estime HRW, qui rappelle que cette législation a été une arme fatale sous le régime de Ben Ali, car elle donne une définition trop large du terrorisme, restreint plusieurs droits des accusés et décrédibilise ainsi la notion de procès équitable. Tant de raisons, donc, pour réviser cette loi.

Nous publions, ci-dessous, le texte synthétisé de cette correspondance...

Définition trop large du terrorisme

Parmi les dispositions qui suscitent l'inquiétude de HRW, on trouve une définition trop large et trop vague du terrorisme, qui englobe les actes de violence qui pourraient «troubler l'ordre public» ou «porter atteinte aux personnes ou aux biens.» Une terminologie floue sur l'incitation à commettre un acte terroriste implique que des personnes peuvent être poursuivies si elles emploient un terme ou un symbole censé soutenir le terrorisme, que cela débouche sur un acte concret ou non.

La loi viole aussi le droit d'un suspect à organiser sa défense, étant donné qu'elle criminalise, pour un avocat, le fait de ne pas fournir aux autorités «les informations relati[ve]s aux infractions terroristes dont il a eu connaissance», même s'il est lié par le secret professionnel.

Sous Ben Ali, les autorités ont poursuivi plus de 3.000 personnes en vertu de la loi antiterroriste depuis son entrée en vigueur en décembre 2003.

Human Rights Watch conseille vivement aux autorités tunisiennes de ne pas se servir des questions de sécurité nationale, invoquées de façon très générale, pour justifier le fait de réduire les droits fondamentaux de la défense.

Human Rights Watch s'inquiète d'une définition trop large du terrorisme dans la loi, qui catalogue – ou pourrait facilement être utilisée pour cataloguer – des actes relevant de l'expression pacifique, de l'association ou du rassemblement en tant qu'actes terroristes et, par conséquent, criminels.

Respect des obligations du droit international

Certaines résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU ordonnaient aux États de veiller à ce que les mesures contre le terrorisme se conforment au droit international des droits humains. Une des plus importantes à cet égard est la Résolution 1456, prise en 2003, qui appelle les États à veiller, «lorsqu'ils prennent des mesures quelconques pour combattre le terrorisme, (...) au respect de toutes les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, (...) en particulier [à se conformer] aux instruments relatifs aux droits de l'homme et aux réfugiés ainsi qu'au droit humanitaire.»

Le droit international des droits humains requiert que les crimes soient définis de façon claire et précise. La loi de 2003 ne se conforme pas à cette obligation. (...)

La définition légale du terrorisme est si vague et si ouverte qu'elle ne parvient pas à donner une image correcte des actions qu'elle recouvre. Elle est suffisamment large pour désigner des actes qui ne sont pas nécessairement criminels, comme des manifestations pacifiques, et la définition très large de ces actes permet de leur appliquer la loi de façon arbitraire et discriminatoire. Par exemple, d'après cette définition, une manifestation de conducteurs de poids lourds qui bloque temporairement une grande route peut être qualifiée d'acte terroriste.

Par ailleurs, dans la loi tunisienne, la définition du terrorisme ne requiert pas qu'il y ait intention de recourir contre une population à la violence physique meurtrière ou grave, ni intention de prendre des otages, ce que le Rapporteur spécial de l'ONU sur la promotion et la protection des droits humains et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a défini comme les éléments centraux d'un acte terroriste.

Notion vague d'«incitation au terrorisme»

La loi fournit également une définition trop vague de l'incitation à commettre des actes terroristes. En effet l'article 11 englobe, en tant qu'actes de terrorisme, le fait d'«incit[er] ou se concert[er] pour commettre [une infraction terroriste]» et celui de «se réso[udre] à [la] commettre, si cette résolution est accompagnée d'un acte préparatoire quelconque en vue de son exécution.» (...)

Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, dans son observation générale sur l'article 19 du PIDCP, a écrit: «Les États parties devraient veiller à ce que les mesures de lutte contre le terrorisme soient compatibles avec le paragraphe 3 [de l'article 19]. Des infractions telles que l''encouragement du terrorisme' et l''activité extrémiste', ainsi que le fait de 'louer', 'glorifier' ou 'justifier' le terrorisme devraient être définies avec précision de façon à garantir qu'il n'en résulte pas une interférence injustifiée ou disproportionnée avec la liberté d'expression.»

Pour traiter de l'incitation au terrorisme de façon équilibrée et respectueuse des droits humains, d'après le Rapporteur spécial, la loi doit exiger expressément qu'il y ait à la fois une intention spécifique d'inciter à commettre un acte terroriste et un danger concret lié à l'acte commis à cause de cette incitation.(...)

La loi antiterroriste restreint plusieurs droits dont jouissent d'habitude les accusés en vertu du Code de procédure pénale, ce qui porte donc atteinte à leur droit à un procès équitable. Ainsi l'article 22 inflige un an à cinq ans d'emprisonnement et une amende à «quiconque, même tenu au secret professionnel, n'a pas signalé immédiatement aux autorités compétentes, les faits, informations ou renseignements relatifs aux infractions terroristes dont il a eu connaissance». Seuls sont exceptés les membres de la famille.

Cette disposition de la loi antiterroriste s'applique aux professionnels normalement tenus à la confidentialité, comme les avocats de la défense, le personnel médical ou les représentants religieux. Elle risque de mettre en péril le droit à la santé, reconnu internationalement, ainsi que le droit à la confidentialité entre client et avocat, élément clé du droit à un procès équitable, un droit également reconnu au niveau international. Cette disposition devrait être soit éliminée, soit révisée de façon à reconnaître des exceptions pour les avocats, les religieux et le personnel médical.

Des formulations très larges

La loi antiterroriste contient aussi des dispositions permettant aux témoins de donner leur témoignage en dehors de la présence de l'accusé et de ne pas révéler leur identité. Même si de telles dispositions peuvent être autorisées dans des circonstances définies de façon très étroite, les formulations très larges contenues dans cette loi violent le droit fondamental des accusés à l'«égalité des armes», qui comprend la possibilité d'examiner leurs accusateurs, de récuser leur témoignage – susceptible de peser lourdement sur le verdict du tribunal – et de questionner les raisons les poussant à témoigner.

Cette correspondance, dont nous avons retiré quelques longueurs, est signée par Sarah Leah Whitson, la directrice exécutive Division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.

Le texte intégral de cette lettre de HRW à l'Anc, qui comprend également des recommandations, est accessible sur le site de l'organisation