Cacophonie dans la maison Tunisie: alors que le ministre de la Défense fait de la diplomatie pour ne pas envenimer les relations avec les Etats-Unis, la présidence de la république hausse le ton à l'égard de Washington, dans une posture trivialement populiste et électoralste.
Par Marwan Chahla
La présidence provisoire de la république, par la voix de Adnène Mansar vient de rajouter son grain de sel à la polémique suscité par le verdict, très indulgent, dont ont écopé les 20 Tunisiens accusés d'avoir pris part à l'attaque, le 14 septembre dernier, de l'ambassade et l'école américaines. Pour le porte-parole de Moncef Marzouki, la critique de l'ambassadeur des Etats Unis, Jacob Walles, est «inacceptable».
Un durcissement de ton inexplicable
Ce durcissement de ton contraste nettement avec la réaction du ministre de la Justice, l'indépendant Nadhir Ben Ammou, qui a été moins cassant et préféré plutôt laisser passer la tempête de cette controverse, en assimilant les critiques américaines à un simple «avis»..., et donc forcément «acceptable».
Nous assistons indéniablement, une fois de plus, à un manque flagrant de coordination, voire une certaine cacophonie diplomatique dans la maison tunisienne.
Parlant sur les ondes de la radio privée Kalima, M. Mansar a jugé que «les commentaires (américains) n'ont pas lieu d'être, ni du point de vue politique ni du point de vue des relations qui nous lient aux Etats Unis», ajoutant que «cette attitude (des Etats Unis) est tout à fait inacceptable».
Réagissant au jugement rendu la semaine dernière dans cette affaire de l'attaque des ambassade et école américaines, l'ambassade des Etats Unis à Tunis n'a, en effet, pas caché sa «profonde inquiétude», exprimant son étonnement que la justice tunisienne n'ait pas fait montre de plus de fermeté à l'égard des accusés et décochant une flèche au gouvernement tunisien qui «a déclaré publiquement son opposition à ceux qui ont recours à la violence (et qui), par ses actions, doit également démontrer qu'il n'y a aucune tolérance envers ceux qui encouragent et utilisent la violence pour atteindre leurs objectifs. Le verdict du 28 mai a échoué, à cet égard».
Cette prise de position, mardi 28 mai, de la présidence provisoire de la république se démarque nettement de la réaction plutôt souple de Nadhir Ben Ammou qui a déclaré au lendemain de la prise de position américaine: «Nous comprenons la réaction des Etats Unis, étant donné qu'ils ont été la partie lésée (dans cette affaire), que les dégâts qu'ils ont subis ont été énormes et que les verdicts prononcés ont été indulgents».
Nous pouvons aisément supposer, sans aucun risque de nous tromper, que M. Mansar parlait, hier, au nom de M. Marzouki et qu'il exprimait sans nul doute une certaine colère du locataire du Palais de Carthage.
Répondre à la colère par la colère
Cependant, prendre le contrepied catégorique de la position souple du ministère de la Justice ne servira en aucun cas les intérêts nationaux. Il est vrai que l'indépendance de la Justice et la souveraineté de la Tunisie sont, entre autres principes du 14 janvier, des valeurs suprêmes sur lesquelles l'Etat tunisien ne devra faire aucune concession. Tout le monde – gouvernants provisoires, autant que tous les Tunisiens – doit veiller à ce que cette indépendance et cette souveraineté soient défendues contre toute ingérence. Cette défense, néanmoins, doit conserver une certaine mesure, pour qu'elle ne soit pas accusée d'électoralisme ou de populisme.
Mettons-nous d'accord sur le fait que l'attaque de l'ambassade des Etats Unis a été un très grave incident où il y a eu des morts tunisiennes et saccage de propriétés de représentations diplomatiques. Reconnaissons, aussi, que la violente réaction des manifestants qui ont pris d'assaut la mission diplomatique américaine à Tunis n'était pas défendable.
Rappelons-nous, également, que l'art de la diplomatie consiste aussi à laisser parfois passer l'orage et à ne pas répondre à la colère par la colère.