L'avocate Leila Ben Debba donne une autre version de sa mésaventure de jeudi soir à La Goulette. Elle affirme être tombée dans un piège tendu par des extrémistes religieux à la solde du pouvoir islamiste.
Par Zohra Abid
Pour écorner l'image de l'avocate Leila Ben Debba, des individus l'ont suivie jusqu'à un restaurant à La Goulette, l'ont provoquée, tabassée, sortie de force dans la rue et filmée alors qu'elle se défendait. La vidéo fait du buzz sur les réseaux sociaux. Et pas seulement.
«Je suis une femme libre»
«Il y a aussi des journaux électroniques qui alimentent une campagne de dénigrement contre moi pour me faire taire définitivement. On a piraté ma page Facebook et on l'a utilisée pour partager cette vidéo», raconte la militante Leïla Ben Debba, interrogée par Kapitalis sur cette affaire qui fait des gorges chaudes sur le web. «On est venu me provoquer et je n'étais pas seule. J'étais avec un journaliste français, avec qui je dînais, et qui a tout vu, tout noté du début jusqu'à la fin. Une horde d'une dizaine d'individus m'ont prise à partie, traitée de prostituée, d'avocate du diable et des seins nus, parce que j'ai défendu Amina de Femen. Je n'ai pas réagi, au départ, mais certains sont venus carrément me lancer des mots grossiers et me tabasser. J'ai partout des bleus et je vais voir aujourd'hui le procureur de la république pour porter plainte», raconte Leïla Ben Debba.
Leila Ben Debba pleurant son collègue et ami Chokri Belaïd, assassiné par des extrémistes religieux proches d'Ennahdha.
Contrairement à ce qui a été affirmé par certains médias proches d'Ennahdha (et que les lecteurs n'auront pas de mal à reconnaitre), Me Ben Debba a affirmé qu'il n'y a pas eu de procès-verbal contre elle pour agression sur des policiers. Cette histoire est totalement inventée, assure-t-elle, par «ceux qui ont tout orchestré et monté, comme dans la vidéo montée par les services de Ben Ali contre Ali Lârayedh (actuel chef du gouvernement provisoire, Ndlr).»
Interrogé sur son état d'ébriété, l'avocate ajoute: «Que tout le monde le sache: je suis une femme libre ; je m'habille comme je veux ; je mange comme je veux ; je me déplace librement ; je mène ma vie comme je l'entends et je défends qui je veux. Personne ne peut rien m'imposer ou m'interdire».
La militante du Front populaire, qui était aux premières loges, le 14 janvier 2011, devant le ministère de l'Intérieur, pour crier «Dégage!» à Ben Ali, lorsque ses agresseurs roulaient encore pour le dictateur et son parti, avant de se recycler dans l'islamisme nahdhaoui, est encore terrorisée par l'assassinat de son camarade et collègue Chokri Belaïd, mais, dit-elle, elle ne se laissera pas faire et agira en conséquence avec tous ceux qui l'attaquent, même s'il s'agit d'agents de police.
Leila Ben Debba agressée lors du procès d'Amina Sbouï, le 30 mai, devant le palais de justice de Kairouan.
«Depuis qu'on m'a agressée à Kairouan, le jour du procès d'Amina, et que la police a protégé l'agresseur, j'ai décidé de ne plus me taire. Celui qui me dit un gros mot, celui qui me frappe, celui qui me harcèle, ne doit pas être surpris si je me défends en conséquence... Ils veulent m'achever ou me pousser à partir de mon pays. Non, je reste là et je me défendrai de la manière qu'ils veulent», prévient encore l'avocate.
Les magouilles du régime islamiste
Leila Ben Debba affirme posséder l'enregistrement d'une discussion téléphonique avec la maman d'Amina, où celle-ci affirme avoir subi des pressions pour déclarer ne pas avoir engagé l'avocate pour défendre de sa fille. La mère dit aussi, dans le même enregistrement, avoir été rassurée sur le sort de sa fille par Maherzia Lâbidi, la vice-présidente nahdhaouie de l'Assemblée nationale constituante (Anc), qui lui a conseillé de remettre le dossier médical de sa fille rapidement sur le bureau du juge en charge de l'affaire. «Elle a dit aussi qu'elle est en train de subir des pressions pour dire que j'ai profité du cas de sa fille et que je défendais sa cause à son insu», a encore dit Me Ben Debba.
Cet enregistrement, ajouté au témoignage du journaliste français avec lequel elle dinait, hier soir, et d'autres éléments encore seront remis à la justice: «ils mettront à nu les magouilles d'un régime encore plus pourri que celui qui l'a précédé», conclu-t-elle.