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Hedi Ben Abbes, l'un des dirigeants du Congrès pour la république (CpR ou Al-Moatamar), tire la sonnette d'alarme : le parti de Moncef Marzouki, président provisoire de la république, est dominé par «la partie conservatrice». Traduire : Ennahdha...

Par Ridha Kéfi

M. Ben Abbès, conseiller diplomatique auprès du président provisoire de la république, grand arrondisseur d'angles devant l'Eternel, et qui affectionne l'art de l'euphémisme et de la langue de bois, préfère parler de «partie conservatrice» là où il s'agit, plus trivialement, de militants du parti islamiste Ennahdha, qui ont investi le parti en plusieurs vagues successives, et la dernière à la veille des élections du 23 octobre 2011, pour aider le CpR à meubler ses listes électorales.

Islamistes, gauchistes, opportunistes, et quoi encore?

Ce parti soi-disant laïque a été, rappelons-le, fondé en 2001 par Moncef Marzouki avec... une poignée d'islamistes de la première heure, dont Lotfi Zitoun, exclu quelque temps après et qui est revenu au bercail (Ennahdha), Imed Daïmi, son actuel secrétaire général, un nahdhaoui pur jus, ou encore Khaled Ben Mbarek, premier conseiller du président provisoire de la république, l'homme le plus secret et le plus effacé du Palais de Carthage. Vieux routier du travail associatif et qui dispose d'importants réseaux internationaux, il serait chargé de faire du lobbying afin de faire avancer la candidature de Moncef Marzouki pour le prix Nobel de la Paix. Rien que ça! Ne dit-on pas que l'appétit vient en mangeant?

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Hedi Ben Abbes, Monsieur langue de bois, sort de sa réserve et déplore la domination de la «partie conservatrice» (sic!) 

Les autres islamistes de la première heure et qui dominent aujourd'hui le CpR, ce sont, bien sûr, l'inénarrable ministre du Commerce, Abdelwaheb Maâtar, l'arrogante ministre des Affaires de la femme et de la famille, Sihem Badi, Nahdhaouie jusqu'à la moelle, et qui a rejoint l'entourage de Marzouki en août 2011, à quelques semaines des élections (elle a été, en quelque sorte, «prêtée» par Ennahdha) ou encore l'incompétent et bavard, Slim Ben Hamidene, ministre des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières, pour ne citer que les figures les plus en vue du CpR.

Tout cela, Hedi Ben Abbes, qui a rejoint le CpR au lendemain de la chute de l'ancien régime (peut-être pas par opportunisme, mais on ne peut pas dire qu'il a beaucoup souffert sous la dictature) le sait très bien. Aussi, quant il déclare, dans un article publiée dans ''La Presse'', le mercredi 19 juin («CpR: s'affirmer ou disparaître»), puis dans un entretien, jeudi, sur Shems FM, avec sa science consommé de l'euphémisme, que la domination du CpR par «la partie conservatrice», quand elle «devient excessive», crée une «brèche» au sein du CpR et menace son équilibre interne, il n'éclaire pas le débat politique au sein de son parti mais l'assombrit. Surtout quant il ajoute, toujours aussi mystérieux, que le CpR est menacé par deux virus : «l'opportunisme et l'idéologie».

Deux virus : l'idéologie et l'opportunisme

Va pour l'idéologie : M. Ben Abbes parle sans doute de l'islamisme, même si on est certain qu'il va démentir, avec sa manière de toujours chercher à ménager la chèvre et le chou, à tenir le bâton par le milieu et à finir par dire exactement le contraire de ce qu'il pense parce qu'il n'a pas le courage politique d'assumer le fond de sa pensée.

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Le bureau politique du CpR (Al-Moatamar): comptez les islamistes, les opportunistes et "le" gauchiste! 

Reste l'opportunisme, et là on a plus de difficulté à identifier des figures: parle-t-il de ceux qui ont rejoint le CpR au lendemain de la chute de Ben Ali pour se placer sans grand frais sur l'échiquier politique en se mettant très opportunément dans le sillage d'un grand militant : Moncef Marzouki. M. Ben Abbes appartient lui-même à cette catégorie, tout comme Adnene Mansar, porte-parole de la présidence provisoire de la république, Tarak Kahlaoui, directeur d'un bien mystérieux Institut des études stratégiques (IES), rattaché à la présidence de la république, et qui n'a rien publié à ce jour, ou encore Aziz Krichen, conseiller politique de la présidence de la république, ex-militant de la gauche radicale («Perspectives»), qui a rallié avec armes et bagages un parti largement infiltré pour ne pas dire phagocyté par Ennahdha.

Avec un attelage aussi bigarré, pittoresque allions-nous écrire, comment le CpR, dont le programme se résume aux petites phrases et saillies de son fondateur et président d'honneur, pourra-t-il préserver plus longtemps son unité, surtout qu'il a perdu, en moins de deux ans, près de la moitié de ses dirigeants, qui ont créé ou rejoint d'autres partis ?*

L'alliance avec Ennahdha – ou, plutôt l'allégeance inconditionnelle à ce parti – ne saurait tenir lieu de programme ou de stratégie politique et/ou électorale. Et les électeurs ne sont pas dupes. La preuve: les sondages d'opinion montrent une chute libre du CpR et de son leader (et probable prochain candidat à la présidence), au profit de deux pôles montants : l'Union pour la Tunisie (centre-gauche) autour de Béji Caïd Essebsi et le Front populaire (gauche radicale) autour de Hamma Hammami.

C'est cette mort annoncée que M. Ben Abbes semble craindre, et qui l'a poussé, lui le monsieur langue de bois, mielleux et lisse, à oser «tirer la sonnette d'alarme» (et c'est son expression) en lançant à ses camarades cet avertissement: «S'affirmer ou disparaître». Traduire : s'affirmer face à Ennahdha ou disparaître en lui. En d'autres termes : marquer sa différence, et pas seulement par des effets de manche, ou perdre toute identité et visibilité aux yeux des Tunisiens.

Nous sommes presque sûrs que l'avertissement de M. Ben Abbes ne sera pas entendu. Et pour cause : ceux qui tiennent aujourd'hui les rênes du CpR le considèrent comme une succursale d'Ennahdha, ni plus ni moins. Et ils ne s'en cachent même plus. En d'autres termes : le CpR est mort, sauf si Ennahdha destine sa succursale à un nouveau rôle...

* Dont Naziha Rejiba alias Om Ziyed, Tahar Hamila, Abderraouf Ayadi, Mohamed Abbou, Samia Abbou, Azed Badi, Slim Boukhdhir, Nawel Bizid, Souhaier Dardouri, Lazher Chemli...