La manifestation organisée samedi matin par l'opposition contre le projet de loi d'immunisation de la révolution a réuni des milliers de militants au Bardo. Une mobilisation très forte, mais disciplinée.
Par Zohra Abid
Avant que les leaders de la coalition de l'Union pour la Tunisie (Uptt) ne prennent la parole, les hommes et femmes de diverses générations, rassemblés devant l'Assemblée nationale constituante (Anc), au Bardo, pour condamner le projet de loi d'immunisation de la révolution, en cours d'examen par les députés, ont entonné en choeur l'hymne national tunisien.
Les milliers de manifestants agitaient le drapeau national, mais aussi la bannière de Nida Tounes, le parti d'opposition ayant appelé au rassemblement. Les bannières d'Al-Massar et d'Al-Jomhouri, alliés de Nida Tounes dans l'UpT, n'étaient pas visibles, mais leurs partisans et leaders étaient aux premiers rangs, bien gardés par une armada d'agents de sécurité.
L'hymne national tunisien entonné en choeur.
Présence massive des Forces de l'ordre
Dès le petit matin, les forces de l'ordre ont investi la place et se sont préparées à l'événement qui «risquait de tourner au vinaigre si les militants des Ligues de la protection de la révolution (LPR) étaient encore là», a dit à Kapitalis un agent de sécurité. Et d'ajouter: «Nous les connaissons tous, un à un. Ils se sont cachés derrière les arbres avant de grimper sur les branches. Nous les avons chassés ce matin sinon ça aurait bardé».
Pas d'exclusion sans jugement.
A une enjambée, une foule de ses collègues étaient déjà en train d'empêcher une poignée d'hommes en colère de se mêler aux manifestants. Ces derniers ne cachaient, il est vrai, leurs intentions. L'un d'eux juraient, en effet, à haute voix, «d'achever les hommes du Rcd (ex-parti au pouvoir dissous, Ndlr) qui veulent reprendre le pays et violer la révolution.» Un autre renchérissait: «Si seulement la police s'éloigne juste un petit peu, on va tous les chasser et par tous les moyens, quitte à les massacrer sur place... et en finir une fois pour toute». La police tente de le raisonner, de le calmer et de l'éloigner. Il s'éloigne en lançant en direction des manifestants un chapelet de gros mots.
La révolution a réuni, l'exclusion va séparer
Devant l'Anc, les manifestants crient à gorges déployées: «Non à l'exclusion». Pas d'anarchie. Tous respectent le carré autorisé par le ministère de l'Intérieur et la circulation des voitures est fluide. Parmi les autres slogans agités: «L'exclusion est affaire de justice»; «La priorité c'est l'exclusion de la pauvreté et l'anarchie»; «La révolution nous a réunis et l'exclusion nous séparera»; «Pas d'exclusion sans jugement»...
Néjib Chebbi arrive sous une forte garde rapprochée.
Plusieurs leaders politiques, concernés ou non par la loi d'immunisation de la révolution, étaient au rendez-vous: Ahmed Nejib Chebbi (Al-Jomhouri), Taïeb Baccouche, Lazhar Akremi, Salma Rekik, Faouzi Elloumi, Khémaies Ksila (Nida Tounes), Samir Ettaïeb (Al-Massar)... A la tribune, plusieurs autres figures emblématiques de l'opposition dont Iyad Dahmani, Neji Djelloul, Noureddine Ben Ticha..., ne passant pas inaperçus.
Kamel Morjane, leader d'Al Moubadra, et Mohamed Jegham, président d'Al-Watan, tous deux d'anciens ministres de Ben Ali et membres du bureau politique du Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd, ex-parti au pouvoir), et donc concernés par ledit projet de loi, ont fait le déplacement au Bardo. Pour eux, la justice est la seule habilitée à juger les gens et à les priver de leurs droits civiques et politiques.
La parole a ensuite été donnée à des leaders syndicalistes et des représentants de la société civile, qui ont tous condamné le projet de loi et ses défenseurs. Selon eux, ces derniers «complotent contre la Tunisie et son modèle de société, cherchent à détruire l'Etat, à diviser le peuple et à aggraver davantage la situation économique et sociale».
Hommage aux martyrs
Les organisateurs ont annoncé le rassemblement entre 11 heures et 13 heures, mais au terme de deux heures ponctuées de speechs, d'applaudissements et de musique sur fond de bendir – honni soit qui mal y pense -, un hommage posthume a été rendu aux martyrs, ceux de la révolution, mais aussi Lotfi Nagdh (Nida Tounes), Chokri Belaïd (Front populaire), les militaires et les agents de sécurité tués à Jebel Chaâmbi en pourchassant des groupes terroristes. La manoeuvre est cousue de fil blanc : le parti au pouvoir et ses alliés (et obligés) cherchent, à travers le projet de loi, à exclure Nida Tounes et son leader Béji Caïd Essebsi, principaux rivaux d'Ennahdha pour les prochaines élections législatives et présidentielle. Dont la tenue n'est même plus assurée, Ennahdha n'étant pas pressé d'y aller.
Non à l'exclusion, dit cette jeune fille.
13 heures pile, sous un soleil de plomb, on démonte la tribune, la foule se disperse, ceux qui ont fait le déplacement notamment de Sousse, de Ksar Hellal, Nabeul et d'ailleurs (et qui n'étaient pas très nombreux), se sont déjà préparés dans le calme pour rentrer à bord de leurs bus garés dans le coin. Et demain est un autre jour qui s'annonce bien chaud devant l'Anc. Après-demain aussi. Deux rendez-vous importants avec la manifestation «Tamarrod», lancée par la société civile, en même temps que celle de l'Egypte, ainsi que celle des militants du Front populaire, eux aussi mobilisés contre l'exclusion politique.