Dans cette «Lettre à l’opinion publique sur les derniers remaniements au sein du ministère de l’Intérieur», les auteurs montrent que le parti Ennahdha continue de tisser sa toile au sein de l’appareil sécuritaire tunisien.
Par Ramzi Bettibi et Taieb Lakili*
Nous avons salué la nomination de Lotfi Ben Jeddou en tant que ministre de l’Intérieur, croyant que celui qui fut juge d’instruction auprès du tribunal de première instance de Kasserine, pendant la révolution, puis procureur de la république de la ville, réputé pour son intégrité et son courage moral, allait mettre en route des réformes effectives au sein de l’institution sécuritaire, considérée, eu égard à la structure de l’administration tunisienne et aux résidus de l’ère Ben Ali, comme le ministère de souveraineté par excellence et le centre de domination et de contrôle en Tunisie.
Cependant, nous n’avons pas tardé à constater un traitement formel des dysfonctionnements au sein du ministère de l’Intérieur et la nomination de responsables sans tenir compte des critères de compétence et d’expérience. Il est même apparu clairement que la logique de l’appartenance partisane a été l’élément déterminant dans les récentes nominations.
Au cours des derniers jours, M. Ben Jeddou a effectué des remaniements au sein du ministère de l’Intérieur dont les médias ont exagéré la portée, saluant «l’exploit» du ministre de l’Intérieur. Nous aurions souhaité que M. Ben Jeddou soit réellement celui qui a effectué ces remaniements.
Or, selon les données en notre disposition montrent que Ali Larayedh (l’actuel chef du gouvernement provisoire et ex-ministre de l’Intérieur, NDLR) est encore le principal acteur de l’institution sécuritaire. Mehrez Zouari a été nommé directeur général de l’Ecole supérieure des forces de sécurité intérieure et il a été remplacé au poste de directeur général des Services spéciaux par Atef Omrani qui occupait, pendant et après la révolution, le poste de chef du service des Renseignements dans le district de Sfax, où il s’était spécialisé dans la répression de l’opposition démocratique. Il a été nommé ensuite chef du district de Bab Bhar (centre-ville de Tunis, NDLR), puis directeur des Renseignements. Cette dernière nomination, M. Omrani l’a doit à Tahar Boubahri, chargé de mission au cabinet des ministres de l’Intérieur Ali Larayedh et Lotfi Ben Jeddou, mais qui était considéré comme le véritable ministre de l’Intérieur.
D’un autre côté, il a été décidé de rattacher Riadh Beltaief à la direction de la Coopération internationale et de nommer Yacine Ettayeb comme directeur général de la Formation.
A ces nominations annoncées mardi, on devrait ajouter celles effectuées ces derniers jours, notamment celles de Samir Allagui, gendre de Mehrez Zouari et cousin de son épouse, à la tête de la direction centrale de la Lutte antiterroriste en remplacement de Adel Arfaoui.
Le nouveau directeur général des Services communs (qui contrôle le parcours professionnel des agents de sécurité) n’est autre que Hamza Ben Aouicha, un autre gendre de Mehrez Zouari. Il convient d’ajouter aussi que le directeur général de la Sûreté publique, Mustapha Ben Amor, est issu de la même région que Mehrez Zouari (Sfax, NDLR).
Ce dernier, qui a gardé le titre de directeur général, a donc nommé, avant de changer d’affectation, un certain nombre de ses proches dans des postes clés au sein du ministère de l’Intérieur. Ce qui prouve que le changement de l’équipe sur l’actuel échiquier a été l’oeuvre de la même partie qui en avait disposé les pièces d’une manière défectueuse ayant abouti à l’affaiblissement de la sûreté nationale dans le pays (par allusion à Ali Larayedh et au parti Ennahdha, NDLR).
Pour conclure, nous appelons Lotfi Ben Jeddou à démissionner afin qu’il quitte son poste avec les moindres dégâts et préserve ainsi ce qui reste de sa réputation. Et afin que son nom reste lié, dans l’esprit des gens, à celui du juge d’instruction, enfant de la Cité Ezzouhour à Kasserine, qui a défié un jour les officiers de Ben Ali.
Nous appelons aussi les syndicats des corps de sécurité et l’opinion publique tunisienne à faire face aux tentatives d’instrumentalisation politique de l’institution sécuritaire.
Traduit de l’arabe par Imed Bahri
Source : page Facebook officielle de Ramzi Bettibi.
Illustration: Ali Larayedh et Lotfi Ben Jeddou.
* Ramzi Bettibi est journaliste d’investigation et Taieb Lakili, membre de l’Initiative pour la découverte de la vérité sur l’assassinat de Chokri Belaïd.