La Tunisie a besoin des garanties des Etats-Unis pour obtenir de nouveaux emprunts sur le marché international, mais les Etats-Unis sont-ils encore disposés à les lui accorder?
Par Ridha Kéfi
La Tunisie a demandé aux Etats-Unis une nouvelle garantie pour sortir sur les marchés financiers internationaux et mobiliser les ressources nécessaires au bouclage de son budget d'Etat pour l'exercice 2014.
C'est ce qu'a rappelé, au cours d'un point de presse, vendredi, à Tunis, le ministre des Finances Elyes Fakhfakh, après avoir présenté un tableau assez mitigé de la situation des finances publiques (baisse des recettes fiscales et non fiscales, hausse des dépenses de gestion et de compensation, etc.). Le ministre des Finances a, cependant, évité d'indiquer l'état d'avancement des négociations tuniso-américaines à ce sujet.
L'ambassadeur des Etats-Unis Jacob Walles multiplie les visites au chef d'Ennahdha, Rached Ghannouchi (ici avec son gendre et conseiller diplomatique Rafik Abdessalem).
Friture sur la ligne entre Tunis et Washington
Les garanties états-uniennes seront d'autant plus nécessaires que la note souveraine de la Tunisie a été dégradée à plusieurs reprises ces deux dernières années par la plupart des agences internationales de notation et que l'obtention de nouveaux emprunts sur les marchés internationaux est devenue quasiment hasardeuse car trop couteuse.
Reste que les relations entre Tunisie et Washington ne sont pas au beau fixe. C'est le moins que l'on puise dire. Surtout depuis l'attaque de l'ambassade américaine, le 14 septembre, par des manifestants islamistes d'Ansar Al-Chariâ, filiale du réseau terroriste Al-Qaïda, et d'Ennahdha, côte-à-côte.
Les assaillants, pris en flagrant délit par les caméras de surveillance de l'ambassade, ont été condamnés par la justice tunisienne, dont on connait le degré d'indépendance du pouvoir exécutif, à des peines de prison... en sursis. Ce qui n'a pas manqué de susciter des commentaires dépités de la part de l'ambassadeur US à Tunis, Jacob Walles, qui était à l'ambassade, avec son équipe, le jour de l'attaque. Et a dû avoir des sueurs chaudes face à la barbarie de l'attaque...
Les Etats-Unis estiment, par ailleurs, qu'Ennahdha ne respecte pas ses engagements pour la réussite de la transition démocratique en Tunisie et qu'il met même en danger ce processus sur lequel Washington mise beaucoup pour n pas totalement désespérer du «printemps arabe».
Pour revenir à la question des garanties, il convient de rappeler que l'ambassade des Etats-Unis à Tunis a publié un communiqué, le 12 juillet dernier, précisant qu'«aucune décision n'a été prise par Washington concernant l'octroi de garanties de prêts supplémentaires à la Tunisie» et que «le sujet est à l'étude», démentant ainsi, indirectement, l'annonce du ministre des Finances, faite à l'issue de sa rencontre avec l'ambassadeur américain Jacob Walles, selon laquelle ce dernier lui a signifié l'accord de principe de Washington concernant ces précieuses garanties. Ambiance...
L'attaque de l'ambassade américaine à Tunis a laissé des traces dans les relations entre les deux pays.
Nos confrères de ''Maghreb Confidentiel'' vont plus loin en affirmant dans leur édition du 25 juillet dernier que «les Etats-Unis ne manifestent plus leur volonté de garantir un nouvel emprunt obligataire tunisien, comme l'avait fait la précédente secrétaire d'Etat Hillary Clinton.»
C'était, souvenons-nous, en 2011, lorsque Béji Caïd Essebsi conduisait le gouvernement de transition et qu'il a été reçu en grande pompe à la Maison Blanche par le président Barak Obama. Autres temps, autres dispositions...
Tout en soulignant le manque de confiance des Etats-Unis dans les autorités tunisiennes actuelles, ''Maghreb Confidentiel'' ajoute, dans la même livraison, que «Washington craint même pour la sécurité de ses diplomates.» Pour preuve: «L'ambassadeur se verra ainsi prochainement attribuer trois gardes du corps supplémentaires par le Diplomatic Security Service» en Tunisie.
Vaincre les réticences de Washington
C'est, on l'a compris, dans ce contexte, national et régional, marqué par la montée de l'incertitude politique, de l'insécurité et du terroriste que la demande tunisienne va être étudiée par Washington. La réponse dépendra en grande partie de la capacité du gouvernement islamiste à donner, lui aussi, des garanties, sur tous ces sujets... A moins que l'octroi de nouvelles facilités militaires à l'US Army dans le sud tunisien, dans le cadre du combat de l'Africom contre les réseaux terroristes d'Al-Qaïda dans la zone sahélo-saharienne, ne vienne à bout des résistances de Washington.
Jacob Walles reçu par le chef du gouvernement provisoire Ali Larayedh.
Cette éventualité, avancée par certains analystes militaires, n'est pas totalement farfelue quand on connait la marge de manoeuvre étroite de l'actuelle Troïka au pouvoir et sa disposition à donner des gages de servilité aux puissants de ce monde... contre un hypothétique appui politique international pour se maintenir indéfiniment au pouvoir
On pense, ici, à l'annonce, faite fin août, par le ministre de la Défense Rachid Sabbagh, de la création d'une zone militaire dans le sud de la Tunisie, aux frontières avec l'Algérie et la Libye, officiellement pour lutter contre le terrorisme, la contrebande d'armes et le crime organisé. Mais quoi encore?
M. Sabbagh a indiqué que cette mesure a été prise pour une durée d'un an (mais rien n'empêche de la renouveler au terme de ce délai), ajoutant que toute personne souhaitant se rendre dans ces zones devra obtenir des autorisations spéciales.
Ceci expliqurait-il cela?
Illustration: le drapeau des salafistes jihadiste flotte sur le toit de l'ambassade des Etats-Unis à Tunis, le 14 septembre 2012