Le prochain chef du gouvernement sera connu avant le samedi 2 novembre. Son profil est plus ou moins défini, mais sa marge de manoeuvre sera aussi réduite que ses chances de réaliser des miracles. L'échec de ses prédécesseurs plaidera pour lui.
Par Imed Bahri
La commission chargée du choix du prochain chef de gouvernement a réduit, mardi, la liste des candidats à 5: Ahmed Mestiri, Mansour Moalla, Mohamed Ennaceur, Mustapha Kamel Nabli et Jalloul Ayed.
Le choix entre deux générations
Ahmed Mestiri, ancien ministre de la Justice, de l'Intérieur et de la Défense (1956-1971), opposant et militant pour la démocratie et les droits de l'homme sous Bourguiba et Ben Ali, a beaucoup de qualité (intégrité, leadership, expérience gouvernemental, et une connaissance intime de tous les acteurs politiques, islamistes ou de gauche), mais il a trois faiblesses : son âge avancé (88 ans), une absence de la scène politique depuis sa démission du Mouvement des démocrates socialistes (MDS) en 1989 et une connaissance approximative des dossiers économiques.
Mansour Moalla (83 ans), ancien ministre de l'Industrie et du Commerce, des PTT, du Plan et des Finances et du Plan (1969-1983), maîtrise, pour sa part, les dossiers économiques et a une bonne connaissance des rouages de l'Etat et de l'administration. Co-fondateur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) en 1957, il a dirigé également des entreprises financières du secteur privé. Ce natif de Sfax a aussi une bonne connaissance de la vie politique tunisienne, même s'il s'en est éloigné – contraint – dès 1994 après une brouille avec Ben Ali.
Mohamed Ennaceur a été à deux reprises, sous Bourguiba, ministre des Affaires sociales, de 1974 à 1977 et de 1979 à 1985. Tenu à l'écart de la vie politique pendant tout le règne de Ben Ali, il a repris du service après la chute de Ben Ali, et a été nommé à nouveau ministre des Affaires sociales de janvier à décembre 2011. Spécialiste en droit social, fondateur et président de l'Association tunisienne de droit social (depuis 1985), l'homme a une bonne connaissance des dossiers sociaux et, mieux encore, il est proche du monde du travail et, particulièrement, de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT). Le pays, qui traverse une grave crise économique, a besoin d'une trêve social. M. Ennaceur, s'il est nommé chef de gouvernement, saurait-il négocier cette trêve et l'obtenir? Rien n'est moins sûr...
Les deux derniers candidats sont des technocrates «purs». C'est le cas de l'économiste Mustapha Kamel Nabli (65 ans), ministre du Plan et du Développement régional entre 1990 et 1994, directeur de la section Moyen-Orient-Afrique du Nord à la Banque Mondiale (1994-2011), puis gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) au lendemain de la révolution (janvier 2011-juillet 2012). L'homme a plusieurs qualités: une bonne connaissance des rouages de l'économie tunisienne et des arcanes de la finance internationale, et une bonne réputation auprès des bailleurs de fonds internationaux. Les maux de l'économie tunisienne n'ont pas de mystère pour cet homme pondéré, indépendant, intègre et patriote. Son seul point faible, qui peut être d'ailleurs un atout : une distance vis-à-vis du monde politique.
Jalloul Ayed (62 ans) est le plus jeune des 5 candidats. Il a fait toute sa carrière dans le système financier international, notamment au Maroc. Appelé au lendemain de la révolution à prendre en main le ministère des Finances (janvier-décembre 2011), il a été l'un des architectes de la transition économique. Pianiste et compositeur à ses heures, ce n'est sans doute pas là un atout lui permettant de prendre en main la présidence d'un gouvernement transitoire, qui plus est en pleine crise sécuritaire, avec une montée du terrorisme.
Les deux derniers sont, à des degrés divers, de bons candidats pour la gestion des dossiers économiques et financiers. La nomination de l'un ou de l'autre pourrait envoyer un signal positif aux bailleurs de fonds internationaux et aux partenaires multilatéraux de la Tunisie. Et le pays a besoin de ce retour de la confiance pour relancer son économie. Mais, pour espérer réussir, aussi bien Mustapha Kamel Nabli que Jalloul Ayed auront besoin de ministres de l'Intérieur, de la Défense et de la Justice qui soient, à la fois, loyaux et maître de leurs dossiers.
Sauveur ou kamikaze ?
Quel que soit le nom du prochain chef de gouvernement, il doit être connu vendredi ou, au plus tard, samedi 2 novembre, comme le stipule la «feuille de route» du Quartet d'organisations nationales (UGTT, Utica, Ordre des avocats, LTDH) parrainant le «dialogue national», inauguré le weekend dernier.
La commission en charge de choisir l'oiseau rare, sauveur ou kamikaze, doit donc décider des critères de choix devant leur permettre de trancher entre les 5 nominés: sens de leadership, capacité de choisir une équipe et de la manager, expérience politique, connaissance des rouages de l'Etat et de l'administration, rayonnement extérieur, etc.
Elle aura aussi à choisir entre deux générations : celles des anciens ministres de Bourguiba (Ahmed Mestiri, Mansour Moalla, Mohamed Ennacer) et celle des technocrates maîtrisant les arcanes de l'économie et de la finance, nationale et internationale (Mustapha Kamel Nabli et Jalloul Ayed).
L'avis des candidats et leur disposition personnelle à se sacrifier pour la bonne cause sera un autre facteur déterminant.
Le débat sera, on l'imagine, assez animé, et la marge de choix assez réduite, alors que le temps presse et que les attentes des Tunisiens deviennent urgentes.