Moncef Marzouki sera reçu aujourd'hui par François Hollande à l'Elysée. Qu'ont-ils à se dire, sinon ressasser quelques bons sentiments et des déclarations sur le soutien de la France à... l'éternelle transition tunisienne.
Par Moncef Dhambri
Aujourd'hui à Paris, notre président de la République provisoire Moncef Marzouki s'entretient avec le président François Hollande(1). Parions que, pendant cette rencontre-éclair (une trentaine de courtes minutes), les deux hommes auront peu de choses à se dire. Sinon exprimer quelques bons sentiments, le temps d'un petit café, publier un communiqué officiel commun «aux angles arrondis» ou servir aux journalistes des plats réchauffés et des déjà-entendus que l'on aurait souhaité ne plus entendre... En somme, la France socialiste et la Tunisie de la Troïka n'ont pas (n'ont plus) grand' chose à se dire.
Ceci ne nous regarde pas
Nous ne commenterons pas les raisons qui peuvent expliquer ce bref déplacement parisien du locataire du Palais de Carthage. Nous ne pourrions que spéculer là-dessus. Quoique puissent déclarer la présidence provisoire de la république et l'Elysée, leurs mots ne seront que des demi-mots ou des «pas-de-mots-du-tout» qui n'avoueront jamais l'échec total des relations tuniso-françaises, la méfiance et le scepticisme qui les caractérisent, ou l'état de délabrement irréparable où elles sont.
Nous n'évoquerons pas, non plus, les circonstances françaises, les fragilités extrêmes dont souffre le gouvernement Hollande et les très nombreuses difficultés auxquelles il fait face. Tout cela, même s'il peut affecter sérieusement les relations entre nos deux pays, «ne nous regarde pas».
Nous préférons, plutôt, nous attarder sur l'autre composante de l'équation diplomatique tuniso-française, c'est-à-dire sur la partie tunisienne, sur le jeu que la Tunisie de la Troïka, la coalition au pouvoir dominée par les islamistes d'Ennahdha, n'a pas pu jouer ou qu'elle a mal joué. Sur nos échecs nombreux et les désenchantements qui en ont résulté. Sur les désillusions que notre 14 janvier a pu causer auprès de nos amis.
Que les choses soient bien claires! Nous ne trainons aucun complexe d'infériorité, aucun complexe de colonisés à l'égard du monde extérieur, envers la France, les Etats-Unis, ni aucun autre pays du monde. Sur ce chapitre-là, je rassure les snipers qui attendent mon article au tournant: la Tunisie qui a dégagé Zine El-Abidine Ben Ali n'a aucun complexe à avoir envers qui que ce soit!
Plus qu'un seul café
Seulement voilà, depuis le départ de Zaba, la Tunisie a connu un certain 23 octobre 2011 qui a donné le pouvoir aux Nahdhaouis. Et aujourd'hui, il est légitime de s'interroger sur ce qu'Ennahdha, les Troïka 1 et 2 ont fait du trésor de fierté qu'était notre révolution du 14 janvier 2011.
Là-dessus, le verdict est sans appel: on ne trouve dans le bilan de deux années de gouvernements nahdhaouis que des pertes innombrables et innommables, que des fiascos qui se ramassent à la pelle et des reculs que rien ne semble pouvoir arrêter.
Ce sera donc, avec tous ces échecs en poche, que Moncef Marzouki rencontrera François Hollande. Si les deux hommes devaient évoquer franchement toutes ces questions brûlantes, il leur faudrait une éternelle éternité et plus qu'un seul café.
Comment peut-on dire deux ou trois mots sur la crise de l'économie tunisienne (où tous les indicateurs annoncent la faillite prochaine et inévitable), sur la dictature nahdhaouie (et cette légitimité provisoire qui dure et se prolonge encore), la descente rétrograde de la société tunisienne (où chaque jour les acquis les plus élémentaires sont menacés), de la précaire situation sécuritaire (où les terroristes, alliés naturels ou objectifs d'Ennahdha, frappent quand ils veulent et là où ils veulent).
MM. Marzouki et Hollande auront besoin de bien plus qu'un café, ou deux, ou trois... pour passer en revue pareilles débâcles, pareilles déconfitures et pareilles déceptions.
Coupable à plus d'un titre
Le président d'honneur du Congrès pour la République (CpR) aura le plus grand mal à convaincre son hôte français qu'il n'y est pour rien dans ce qui arrive à la Tunisie. Il aura du mal à plaider non-coupable dans la supercherie de «l'islamo-démocratie» des Nahdhaouis. Souvenons-nous: n'était-ce pas lui qui, devant l'Assemblée nationale française, et dans un style très scolaire, a essayé de faire avaler à son auditoire qu'Ennahdha et démocratie pouvaient aller ensemble. Et, en parfait récidiviste, Moncef Marzouki a dit et redit cette même sornette et bien d'autres mensonges (ou folles idées) dans tous ses déplacements, aux quatre coins de la planète.
Il a été piégé; il a aimé le prestige du strapontin de Carthage; il a offert en contrepartie les pleins pouvoirs à ses bienfaiteurs nahdhaouis; il a assisté en spectateur impuissant (ou consentant) à la confiscation de notre révolution par Ennahdha; il a sacrifié son passé de militant des droits de l'Homme; il a tué son CpR. Pire encore, il a été complice de tous les malheurs qui se sont abattus sur notre pays, depuis deux années.
Que peut-il répondre à l'accusation qu'il s'est également rendu coupable de la perte de nos espoirs et de la perte de nos amis, gouvernements, investisseurs et touristes?
Monsieur le président provisoire, l'histoire immédiate a fait de vous le «tartour» (guignol) des Tunisiens et a donné l'occasion à un confrère de collectionner un nombre suffisant de vos perles pour couvrir 155 pages.
Le tribunal de la grande histoire vous jugera encore plus sévèrement. Comme tous les Tunisiens, il vous a déjà condamné à... la poubelle. Il étaiera son verdict dans les quelques mois à venir, en vous demandant de plier vos bagages et de quitter le Palais de Carthage.
Pour le reste de la punition, il y aura les oubliettes et le travail de recherche et d'analyse des historiens.
Note:
(1) J'attire l'attention de nos lecteurs sur le fait que je n'ai pas écrit «son homologue français». Bien évidemment, cela aurait été une maladresse protocolaire impardonnable.