De hauts responsables au ministère de l'Intérieur sont de nouveau accusés d'avoir caché à la justice des données cruciales dans l'affaire d'assassinat de Belaid et Brahmi.
Par Imed Bahri
Au cours d'une conférence de presse, jeudi, à la Maison de l'Avocat, à Tunis, les membres de l'Instance pour la recherche de la vérité sur les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (IRVA) et le Comité de défense du martyr Chokri Belaid (IRVA), notamment les avocats Mokhtar Trifi et Nizar Snoussi, ont accusé de hauts responsables du ministère de l'Intérieur d'avoir cherché à cacher certaines données importantes à l'enquête judiciaire relative aux meurtres des dirigeants de l'opposition Chokri Belaid (6 février) et Mohamed Brahmi (25 juillet).
Des preuves dissimulées
Pourquoi le rapport balistique, réalisé aux Pays-Bas et reçu par les services du ministère de l'Intérieur dès le 29 mai, a-t-il été caché à la justice jusqu'à fin septembre, alors que plusieurs parties, notamment le juge d'instruction en charge de l'enquête, ont multiplié les requêtes à son sujet?, se demande Me Trifi.
L'avocat pointe la responsabilité de plusieurs cadres du ministère de l'Intérieur dans cette tentative de dissimulation des preuves à la justice, notamment Wahid Toujani, directeur général de la sûreté publique, Mourad Sebaï, directeur de la police judiciaire et président d'Interpol Tunisie, Taoufik Sebaï, directeur de la police technique et scientifique, Adnene Slama, chef d'unité à la sous-direction des affaires criminelles, Riadh Rekik, responsable à la sous-direction des études et du suivi rattachée au service de la coopération sécuritaire avec Interpol Tunisie, Jamel Slama, chef de la sous-direction des laboratoires criminelles et scientifiques, et Belgacem Bessaoudi, chargé de l'expertise des armes et des munitions au service des analyses et des tests.
Me Mokhtar Tlili.
Me Trifi et Me Snoussi soulignent également que l'arme ayant servi à l'assassinat de Belaïd et de Brahmi est un revolver de type Beretta. Cette arme est largement utilisée par les forces de sécurité tunisiennes. Ce qui laisse planer un doute quant aux intentions des hauts responsables sécuritaires qui ont essayé de cacher à la justice le rapport balistique de l'arme ayant servi aux deux meurtres. Et si certains d'entre eux avaient des choses à cacher ?
Les avocats soulèvent d'autres faits pour le moins louches : la voiture de marque Fiat Siena, qui a été vue les 1er, 4 et 5 février, dans les environs de la maison de feu Belaïd – elle a même été filmée par des caméras de surveillance et les films remis à la police judiciaire –, ainsi qu'une moto et une personne utilisant un numéro GSM de Tunisiana au même moment et à partir du même lieu.
L'enquête a révélé que la voiture est la propriété de Yasser Ben Mohamed Mouelhi, un ami très proche de Mohamed Ali Dammak, qui a conduit la voiture Fiat Siena et passé plusieurs appels téléphoniques, à partir d'un GSM appartenant à son épouse Meriem Miladi, les 1er, 4 et 5 février, du lieu même où le 6 février, Chokri Belaïd allait être tué.
Pire encore : cette voiture Ford Siena (126 TU 8665), dont le rôle dans l'attentat était connu et qui a été repérée dès le 11 février, a pu être utilisée dans ses déplacements par le dénommé Ahmed Rouissi, le terroriste impliqué dans l'assassinat de Belaïd, jusqu'au 16 février, date à laquelle ce dernier a passé un appel au propriétaire du véhicule Yasser Mouelhi.
Des manquements en série
Toutes ces données sont connues de la police et figurent dans des rapports d'enquête, mais il a fallu attendre 10 jours (un temps perdu pour l'enquête et qui a permis aux criminels de s'enfuir), soit le 26 février, pour qu'un avis de recherche concernant ce véhicule soit émis par le juge d'instruction.
Face à ces manquements, les avocats ont émis une hypothèse pour le moins inquiétante : et si la police a évité d'arrêter Ahmed Rouissi, qui utilisait la voiture Fiat Siena jusqu'au 16 février, et d'enquêter sur les appels qu'il a passés et reçus via le GSM n° 55.297.446 –qu'il utilisait jusqu'à sa disparition à partir de cette date –, afin de ne pas identifier les personnes avec lesquelles il était alors en contact et qui pourraient être les commanditaires réels de l'assassinat!?
Les avocats ont soulevé plusieurs autres manquements des enquêteurs, qui ont souvent réagi avec un inexplicable retard, évité de poser les bonnes questions aux prévenus et d'établir des liens entre certains faits et leurs auteurs, ou passé sous silence des éléments pourtant cruciaux à l'enquête, laissant ainsi les dangereux individus impliqués dans les assassinats (tels Ahmed Rouissi et Kamel Kadhgadhi, le tueur présumé) échapper à la justice.