mohamed ennaceur banniere 12 2

Dans un article au journal ''Echourouq'' et un entretien à ''Ness Nessma'', Mohamed Ennaceur, éphémère candidat à la présidence du gouvernement, renvoie les participants à la tragi-comédie du dialogue national à leurs... tares incurables et myopies partisanes.

Par Moncef Dhambri

Le dialogue national est suspendu. Il achoppe sur le choix de celui ou celle qui remplacera le nahdhaoui Ali Larayedh au poste de chef de gouvernement provisoire... La Tunisie attend. Les Tunisiens perdent un temps précieux. Le Quartet se fixe, chaque semaine, un nouveau délai.

Mohamed Ennaceur, qui était en lice pour la succession de l'incorrigible Ali Larayedh, a décidé de se retirer dignement de la course. Il va donc retrouver l'anonymat et la discrétion qu'il connait depuis de nombreuses décennies. L'Histoire et les historiens retiendront ce qu'ils voudront de la carrière de cet homme. Nous garderons de ce départ les quelques vérités que M. Ennaceur a souhaité dire à ses compatriotes avant que le rideau ne tombe.

Une Tunisie devenue méconnaissable

Pour lui, la Tunisie est devenue méconnaissable, un pays qui ne sait plus où il va, les Tunisiens ont perdu l'enthousiasme et la solidarité des premiers jours de la Révolution et nos amis et partenaires ne savent plus quoi faire pour nous aider. Alors que notre classe politique – «majorité» et opposition confondues – n'a à l'esprit que cette obsessionnelle issue des prochaines élections, le pouvoir, les fauteuils... Et du reste, elle n'en a cure.

Entre départs plusieurs fois reportés et coups de théâtre innombrables, entre impasses et pannes totales que l'on ne compte plus, le dialogue national nous a réservé la surprise de sortir des oubliettes de notre Histoire quelques dignes et compétentes personnalités tunisiennes. Nous ne les nommerons pas, ici. Nous risquons d'en oublier.

Mohamed Ennaceur, entre autres grosses pointures, a occupé, ces derniers mois, la une des médias nationaux et internationaux et il aurait pu assurer, pendant les 8 ou 9 mois à venir, la présidence du gouvernement de transition qui aurait dirigé les affaires du pays jusqu'aux prochaines élections. Cette mission, quoique délicate et ardue, il aurait pu l'accomplir avec succès, moyennant quelques efforts, de part et d'autre, quelques sacrifices, quelques concessions et la bonne volonté de tous. Il n'en fut rien.

mohamed ennaceur 12 2

«Actuellement les Tunisiens sont inquiets. Ils s'interrogent: où va-t-on et que va-t-il advenir de notre pays?»

Une majorité qui décide et une opposition qui dit 'non'

Et M. Ennaceur s'en inquiète: non pas pour sa propre personne (car les réussites de ses longues carrières nationale et internationale noirciraient des pages et des pages), mais pour la Tunisie, un pays qui, selon lui, «est aujourd'hui devenu méconnaissable».

Jeudi dernier, il est venu sur le plateau de ''Ness Nessma'' clarifier ce qu'il a développé dans une longue lettre ouverte publiée dans les colonnes d'''Echourouq''.

Mohamed Ennaceur déplore que le dialogue ait été suspendu et qu'il n'ait pas donné lieu à un véritable débat d'idées sur ce qui devrait être fait pour sauver le pays. Pour lui, «le dialogue national aurait dû être une occasion pour rectifier la trajectoire de tout ce qui a été entrepris depuis le 23 octobre 2011», de tous les faux-pas, de toutes les erreurs et incompétences dont ont fait preuve les islamistes et leurs associés des Troïkas 1 et 2.

Il a rejeté, sans faire de détail, le principe selon lequel «une majorité programme, planifie et décide, alors que les autres parties n'ont de rôle que celui d'être une opposition qui n'a le droit que de dire 'non'».

Cette démarche n'a pas lieu d'être, estime Mohamed Ennaceur: «Elle ne convient nullement à la situation actuelle du pays», dit-il. Et de rappeler que «nous sommes là, à cause et grâce à la Révolution. Or, cette dernière a été portée par des objectifs bien précis et des ambitions bien définies. Elle a également donné naissance à un nouveau type de rapport entre l'Etat et la société. Elle a aussi engendré un effritement de certains liens qui unissaient les Tunisiens entre eux», a-t-il insisté.

S'attardant sur cette dernière perte très coûteuse, M. Ennaceur a expliqué que «l'euphorie des premiers jours de la Révolution, l'enthousiasme et la solidarité spontanée ne sont plus là. Nous avions découvert, alors (au lendemain du 14 janvier 2011, NDLR), la véritable Tunisie, celle de la générosité et du don de soi. Souvenez-vous des caravanes de charité qui sillonnaient le pays, de l'assistance acheminée au peuple libyen frère, etc.», interpelle-t-il les téléspectateurs.

L'Etat n'est plus crédible

«A présent, tout cela a changé. Actuellement les Tunisiens sont inquiets. Ils s'interrogent: où va-t-on et que va-t-il advenir de notre pays?», déplore-t-il.

Selon lui, ce dont la Tunisie a besoin, c'est une vision claire de notre avenir, où nous allons, ce que nous voulons faire. Il somme les dirigeants politiques de tous bords: «Nos partenaires et nos amis, qui souhaitent nous aider, veulent savoir où nous allons».

Le programme de celui qui aurait pu assurer l'intérim jusqu'aux prochains scrutins législatif et présidentiel est clair: «Nous devrions montrer au monde que nous sommes solidaires et que, main dans la main, nous œuvrerons à faire progresser notre pays, à le développer et à placer les intérêts de ce dernier au-dessus de toutes les autres considérations».

Au lieu de cette absolue nécessité et de cette obligation, nos dirigeants, nous dit Mohamed Ennaceur, ont fait d'autres choix et ils ont perdu toute leur crédibilité: «L'Etat, se désole-t-il, n'est plus crédible. Il a été très sérieusement fragilisé et nos problèmes sont aujourd'hui énormes. L'Etat a échoué, il n'a pas été capable d'établir les équilibres dont notre pays a besoin: que ce soit entre les régions, entre les générations ou les catégories sociales. Tout est devenu cause de désespoir en Tunisie», conclut-il.

La solution, pour Mohamed Ennaceur, aurait pu être toute simple, car il n'aurait jamais dû s'agir de personne ou d'ambition personnelle, mais plutôt de compétences, de pouvoirs et de moyens dont aurait dû disposer le prochain chef du gouvernement provisoire, de ses relations avec l'Assemblée nationale constituante (ANC), des initiatives qu'il aurait pu entreprendre et des réformes qu'il aurait pu mettre en œuvre. «Or, rien de tout cela n'a été évoqué. Rien de ce qui me semble être essentiel pour le sauvetage de la Tunisie n'a été soulevé, car chacun s'est évertué, jusqu'ici, à cacher son jeu et à garder ses réelles intentions secrètes», lâche Mohamed Ennaceur, renvoyant ainsi dos-à-dos les bons et les méchants (faites votre choix, cher lecteur!): pour lui, «tout le monde est calculateur. Tous les partis n'ont d'yeux que pour les prochaines échéances électorales. Ils n'ont en tête que le comment remporter les prochaines élections ou comment ne pas les perdre».

Des tares incurables...

Selon l'ancien ministre des Affaires sociales, la responsabilité du sauvetage de la Tunisie incombe à tous «à tout le monde: les partis politiques, les syndicats et toutes les composantes de la société civile. Tout ce monde-là devra y mettre du sien».

Pour sa part, il a déjà servi et il préfère céder la place à quelqu'un d'autre, sans pour cela fermer définitivement la porte d'un retour.

En fin d'émission de ''Ness Nessma'', M. Ennaceur affirme qu'il n'envisage pas, à l'heure actuelle, la moindre révision de sa décision de se retirer...

Le chapitre Mohamed Ennaceur-Ahmed Mestiri de cette tragi-comédie qu'est devenu le dialogue national serait donc clos. Nous n'en saurons pas plus sur les causes véritables de cette occasion manquée. Ou, plutôt, nous en savons déjà assez: tous les participants, chacun à sa manière et chacun avec ses tares incurables, ont fait montre de mauvaise volonté; tous ont fait preuve de myopie partisane; tous sont passés à côté de l'essentiel et l'indispensable.

Tous ont trahi la Révolution. Et la Tunisie en paiera le prix.