L’auteur se souvient de la naissance, il y a 11 ans, à Paris, la première structure de recherche de la vérité sur l’assassinat de Farhat Hached, en présence de Chokri Belaid et Basma Khalfaoui.
Par Abdellatif Ben Salem
Il y a à peu près 11 ans naissait à Paris à l’initiative des militants de l’opposition de gauche démocratique tunisienne en exil, la première structure de recherche de la vérité sur l’assassinat de Farhat Hached. Le 20 décembre 2002, elle tenait son premier meeting pour faire connaître son action. Plusieurs responsables syndicalistes de l’UGTT ont fait le déplacement pour y assister. Pierre Joxe ancien ministre des Relations extérieurs de François Mitterrand nous a honorés de sa présence et promis d’intervenir auprès des autorités pour aider à faire éclater la vérité. Il y avait également les petits-fils et les petites filles du Martyr Farhat Hached, sans compter les nombreux acteurs politiques de l’opposition et de la société civile (les islamistes brillaient comme toujours par leur absence) ainsi que des membres de la diaspora tunisienne. Ce jour là je garde en mémoire plus particulièrement, l’image de Chokri Belaïd. Ayant participé en tant que fondateur à toutes les étapes de la mise sur pied de notre collectif, Chokri était bien sûr parmi nous, accompagné de Basma Khalfaoui qu’il épousa à Paris quelques mois auparavant. A l’issue de la rencontre nous nous sommes dirigés vers une pizzeria place de la république. On nous a réservé une salle à l’étage. Des grappes de militants discutaillaient à voix haute autour des tables, d’autres butinaient comme des abeilles volant d’une table à l’autre. A une table voisine un groupe parmi lequel se trouvait Basma reprenait allégrement en chœur le refrain d’une des chansons de lutte du Cheikh Imam Issa. Chokri, lui, était debout, casquette prolétarienne vissée sur le crâne, sa sempiternelle serviette bourrée de livres et de documents à la main, il faisait face à Ali Romdhane. J’étais assis à droite de celui-ci. Chokri rendait hommage à l’UGTT de Hached mais fustigeait sur un ton très dur mais imprégné de respect, le «laxisme» de la centrale syndicale dans l’opposition à la dictature et d’autres choses dont je ne peux me souvenir. Je l’observais en silence, étonné par son énergie, sa force et surtout son éloquence («khataba») implacable et puissante dont pâtiront tant et si bien nos ennemis les plus acharnés qu’ils n’hésiteront pas a ordonner froidement son exécution rituelle sur la place publique. Est-ce un hasard que ceux qui ont tenté le 4 décembre 2012 de détruire l’œuvre de Hached se révèlent être les mêmes qui, deux mois plus tard, feront taire à jamais la voix de Chokri? |