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Reprise d'un article de l'auteur publié par le quotidien français ''La Dépêche du Midi'', dans son édition du mardi 17 décembre, à l'occasion du 3e anniversaire du déclenchement de la révolution tunisienne.

Par Ridha Kéfi

Le mardi 17 décembre, les Tunisiens ont célébré, sans faste ni ferveur, le troisième anniversaire du déclenchement de la révolution populaire ayant contraint l'ancien dictateur Ben Ali à prendre la fuite.

Trois ans après, ils se disent que, tout compte fait, la situation dans leur pays n'est pas aussi dramatique qu'elle l'est aujourd'hui en Égypte, en Libye, au Yémen et en Syrie, les autres pays du fameux «printemps arabe». Car, malgré l'arrivée au pouvoir le 23 octobre 2011 du mouvement islamiste Ennahdha, à l'issue des premières élections libres et transparentes dans l'histoire du pays, la transition démocratique n'est pas encore totalement hypothéquée.

Un consensus mou

Elle est certes mise en danger par la montée de l'extrémisme religieux et de ses corollaires: la violence politique – avec l'assassinat de deux leaders de l'opposition Chokri Belaid et Mohamed Brahmi – et le terrorisme.

Elle est aussi mise en danger par la menace d'un retour de la dictature, théocratique cette fois. Mais cette transition n'en reste pas moins de l'ordre du possible. Et cela grâce à la forte résistance qu'oppose la société civile, notamment les jeunes et les femmes, aux tentatives d'islamisation rampante de la société, ainsi qu'aux pressions amicales des partenaires internationaux de la Tunisie.

L'Union européenne et les États-Unis poussent en effet sans cesse la coalition au pouvoir dominée par les islamistes à faire des concessions en vue de préserver l'unité du pays sur la base d'un «consensus mou» où les islamistes conservateurs et les démocrates progressistes trouvent finalement leur compte et évitent une confrontation dont ils mesurent les dangereuses conséquences. Le souvenir des années de plomb dans l'Algérie voisine et le spectacle des affrontements violents en Syrie incitent les protagonistes à faire des concessions réciproques.

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Les assassinats politiques et la montée de la violence politique hypothèquent la transition démocratique.

Éviter les confrontations

L'aboutissement du dialogue national avec le choix samedi dernier d'un chef de gouvernement indépendant – un technocrate d'une cinquantaine d'années, Mehdi Jomaa –, au terme de deux mois d'âpres négociations, démontre cette volonté commune d'éviter que la forte polarisation politique divisant la société en deux camps diamétralement opposés n'aboutisse à une confrontation dont toutes les parties se passeraient volontiers.

Le nouveau chef du gouvernement doit composer un cabinet de technocrates indépendants dans un délai de deux semaines.

Sa mission: restaurer la sécurité pour relancer l'économie; calmer la grogne sociale notamment dans les régions défavorisées, berceau de la révolution; accélérer la rédaction de la nouvelle Constitution; et enfin préparer la tenue d'élections transparentes dans un délai de 6 à 8 mois.

La tâche s'annonce d'autant plus difficile que la situation générale dans le pays s'est beaucoup détériorée au cours des trois dernières années: le taux de chômage est resté très élevé (autour de 15%, avec des pics de 40% dans certaines régions de l'Ouest et du Sud), l'inflation plafonne à près de 7%, le déficit budgétaire dépasse 6%, le dinar dégringole face à l'euro et au dollar, creusant les déficits commerciaux et de la balance de paiement...

La dégradation de la note souveraine du pays à 3 ou 4 reprises en moins de 2 ans rend difficile sa sortie sur les marchés financiers internationaux et n'encourage pas les investisseurs, nationaux et étrangers, à lancer de nouveaux projets.

Par ailleurs, et pour un pays dont l'économie dépend à 70-80 % des échanges extérieurs avec l'Union européenne (tourisme, exportation de biens et services, IDE, envois financiers des travailleurs expatriés, etc.), la crise sévissant actuellement en Europe et, surtout, en France (premier fournisseur, premier client et premier investisseur étranger, etc.) n'arrange guère les choses.

C'est sur ce front-là que le nouveau chef du gouvernement est attendu: il doit restaurer la sécurité et la confiance, calmer les appétits politiques que la liberté retrouvée a attisés, faire accepter de douloureux sacrifices par les différents acteurs sociaux (notamment les travailleurs et les chefs d'entreprise), relancer l'investissement dans des projets pourvoyeurs de main-d'œuvre et rétablir la confiance dans la capacité du pays à rebondir et à honorer ses engagements internationaux.

À cet égard, le soutien de la France, de l'Union européenne et du voisin algérien, très soucieux du retour de la stabilité à ses frontières orientales, va s'avérer déterminant.