Le combat des magistrats tunisiens pour l’indépendance de la justice n’est pas terminé avec la chute de la dictature de Ben Ali. Il se poursuit sous le nouveau régime qui tente de maintenir la justice sous le contrôle direct du gouvernement.
Les magistrats tunisiens entreront en grève illimitée à partir du 1er jour où l'Assemblée nationale constituante (ANC) entamera la discussion de l’article relatif au pouvoir judiciaire dans la Constitution. Raoudha Labidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), qui a fait cette annonce lors d'une conférence de presse lundi au Palais de Justice, à Tunis, a demandé que des changements soient apportés à cet article, notamment en ce qui concerne l'indépendance du ministère public et la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qualifiant de «désastreux» l’article en question. La présidente du SMT estime que le projet de Constitution «lie les mains des magistrats et porte atteinte au principe de l'indépendance de la justice», estimant que les arrangements trouvés au sein de la commission des compromis au sein de l'Assemblée «se sont faits au détriment de l'avis des magistrats et sans que ces derniers ne soient entendus lors des différentes étapes d'élaboration des trois drafts successifs de la Constitution.» «Si les compromis politiques au sujet du projet de Constitution ont permis d'élargir le champ des droits et libertés, ils ont échoué à donner des gages pour l'avènement d'une justice indépendante», a-t-elle ajouté, précisant qu’en l’absence d’une justice réellement indépendante vis-à-vis du pouvoir exécutif, il serait difficile de préserver ces droits et ces libertés. Mme Labidi a, par ailleurs, marqué son étonnement de la mention faite, dans le projet de Constitution en cours de discussion, de la mise en place d'une «instance des conseils judiciaires», demandant à l'Assemblée des éclaircissements sur la nature et les compétences de cette mystérieuse instance, dont on pourrait craindre qu’elle fusse un instrument de pression ou d’intervention entre les mains du pouvoir exécutif. Mme Labidi a dit avoir appris auprès d'un député de l'ANC que cette instance servira «à contrôler le degré de conformité des lois avec la charia islamique», réitérant la ferme opposition du SMT à ce que des non-magistrats soient nommés en qualité de membre de l'instance envisagée et exhortant l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire à rompre avec sa «passivité» et à défendre les garanties de l'indépendance de la justice dans le projet de Constitution. Le syndicat a mis en garde, par ailleurs, contre les conséquences d'une constitutionnalisation de «la subordination du ministère public au pouvoir exécutif», rappelant que le texte dispose, dans sa mouture présente, que «le ministère public met en oeuvre la politique pénale du gouvernement». A ce propos, la présidente du SMT a fait part de ses craintes de voir le parquet «subir les politiques de tous les gouvernements successifs», soulignant la nécessité de faire en sorte que le ministère public soit «indépendant et neutre» et de «fonctionner sous l'autorité de la loi et non sous celle des gouvernements». Raoudha Labidi a, par ailleurs, déploré que le refus du chef du gouvernement d'entériner le mouvement judiciaire partiel décidé par l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire ait «entrainé le blocage du travail des différentes institutions judiciaires en Tunisie», notamment du Tribunal de première instance de Tunis, pourtant seul compétent en matière d'affaires liées au terrorisme, ainsi que l'Institut supérieur de la magistrature et du Tribunal immobilier. I. B. (avec Tap). Illustration: Raoudha Laabidi. |