lourimi fakhfakh ladhari banniere 1 9

Face à l'ampleur de la protestation populaire provoquée par la Loi des Finances 2014, Ennahdha, dans un élan de populisme, se défausse lâchement sur le ministre des Finances, ne craignant pas le ridicule de déjuger son propre gouvernement.

Par Moncef Dhambri

Il y a un mois, peut-être même un peu plus, le gouvernement d'Ali Larayedh expliquait qu'il y avait urgence à adopter la loi des Finances 2014. L'on nous disait que c'était une affaire de crédibilité vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux et des partenaires étrangers de la Tunisie, qu'il fallait rassurer l'opinion publique tunisienne, que les choses dans notre pays étaient en de bonnes mains et qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter.

Hier, Ennahdha a publié un communiqué dans lequel il a appelé, avec autant d'insistance, à ce que certaines dispositions de cette même loi soient revues et corrigées. Que s'est-il passé, dans l'intervalle?

Ennahdha s'oppose à son propre gouvernement!

Depuis les premiers ébruitements sur la loi des Finances 2014 jusqu'à son adoption par l'Assemblée nationale constituante (ANC), en passant par son approbation par le gouvernement de la Troïka-2, l'opposition, les organisations syndicales, les experts et la société civile, qui étaient bien dans leur rôle de contre-pouvoir, ont dénoncé les vices de forme et les carences de cette loi.

Face à l'unanimité de ces critiques, les Nahdhaouis et leurs associés de l'alliance gouvernementale n'ont pourtant pas désarmé. Au contraire, ils ont persisté, signé et répété que cette loi – sous la forme qu'ils lui ont donnée – était la seule planche de salut pour la Tunisie, qu'elle mettait de l'ordre dans les affaires économiques et financières du pays et qu'elle garantissait les justices fiscale et sociale les plus équitables.

Dès la première semaine de l'entrée en vigueur de cette loi, la grogne sociale s'est très vite répandue pour devenir un mouvement de protestation de grande ampleur et menacer sérieusement de paralyser toutes les activités dans le pays. L'on a même parlé de «deuxième révolution»...

Face à ce soulèvement généralisé, Ennahdha, qui s'apprête à quitter le gouvernement par la petite porte, ne pouvait brûler toutes ses cartes de retour au pouvoir. Dans un sursaut populiste de dernière minute, Montplaisir (quartier de Tunis où se trouve le siège du parti islamiste) décide donc, dans un communiqué officiel, de se désolidariser du ministre des Finances Elyès Fakhfakh, faisant porter à ce dernier toute la responsabilité de la montée de cette vague de mécontentement.

Les oiseuses justifications de Lourimi et Laâdhari

Ajmi Lourimi, membre du Majlis Choura d'Ennahdha chargé de l'information et de la communication, a reproché à M. Fakhfakh de «n'avoir pas tout précisé sur les intentions» de sa loi et que certaines dispositions comportent des ambigüités qui devront être dissipées, appelant ainsi le ministre des Finances à revoir sa copie et à corriger sa démarche.

Ennahdha, qui a toujours eu le courage de son populisme, ira même jusqu'à prendre fait et cause pour la contestation de la loi des Finances 2014. Invité de l'émission ''A la page'' de notre confrère Boubaker Ben Akacha, sur Mosaïque FM, Zied Ladhari, le porte-parole officiel d'Ennahdha, n'a pas manqué d'enfoncer encore plus le clou: pour lui, «le gouvernement doit rester constamment à l'écoute du peuple. Par conséquent, lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre une loi (telle que la loi des Finances, NDLR), cette application doit être accompagnée par une action pédagogique et par la prise en considération des situations particulières».

Ne craignant nullement de justifier cet indéfendable revirement de son parti, M. Ladhari s'est même confondu à expliquer qu'«il n'y a aucune raison pour qu'Ennahdha ne remette pas en question et qu'il ne revoit pas ses positions sur cette loi des Finances 2014. Pour cela, il y a plusieurs manières de faire: en prenant en compte les spécificités des cas, en procédant graduellement dans l'application des dispositions de la loi, etc.» Il ira même jusqu'à nier le fait qu'il y ait mention dans le texte de loi de cette très controversée patente qui a mis le feu aux poudres.

La tragi-comédie de la Troïka-2

Bref, nous avons bien compris qu'Ennahdha, face au tsunami de la protestation, a décidé de battre en retraite et de lâcher le soldat Fakhfakh.

La tragi-comédie de la Troïka-2 touche donc à sa fin. Par calcul politicien, Ali Larayedh quittera le Palais de la Kasbah et Ennahdha se repliera sur lui-même, à Montplaisir, afin de prendre du recul et mieux préparer la prochaine étape, celle des élections législatives, présidentielles et municipales.

Avant ce retrait stratégique, les Nahdhaouis souhaiteraient exprimer leur «solidarité avec les petites gens» en prétendant qu'ils ont été induits en erreur par le ministre des Finances et qu'ils sont de tout cœur avec les classes populaires. Cela ne leur coûtera rien d'abandonner Elyès Fakhfakh, son Ettakatol et le Congrès pour la République (CpR), ces deux formations ayant servi plus qu'il ne faut et jusqu'à l'usure totale.

Dans sa conférence de presse de mercredi après-midi, le ministre des Finances n'a pas omis de remettre les dirigeants d'Ennahdha à leur place, en qualifiant leur volte-face d'acte populiste et en leur rappelant leur devoir de solidarité avec un gouvernement et une Loi des finances qui sont... les leurs.

Au lendemain des prochaines échéances électorales, Rached Ghannouchi, le gourou de Montplaisir, prouvera une fois de plus son génie et concoctera une autre potion magique qu'il fera avaler à d'autres dirigeants et formations politiques pour former une nouvelle coalition gouvernementale.

L'opposition, fidèle et égale à elle-même, n'y pourra rien et n'y verra rien.

Et nous, les communs des mortels, nous assisterons impuissants à un autre tour de passe-passe qui se jouera sous nos yeux et sur le dos de la Révolution du 14 janvier 2011.